CINQUIÈME ENTRETIEN.
Suite des
ornemens
ornements
du
Récit
récit
Euphorbe se
promenoit
promenait
dans une allée sombre, lorsqu'il
apperçut
aperçut
Timagène qui
venoit
venait
à lui. Eh bien ! lui dit-il en l'abordant, votre
curiosité est-elle satisfaite ? Ce chef-d'œuvre répond-il à l'idée qu'on vous en
avoit
avait
donnée ? Je sais que vous ne prodiguez pas vos éloges.
Tout difficile que vous me supposez, répondit Timagène, je puis vous dire que j'ai vu un
bel ouvrage. Le sujet est la résurrection du Lazare.Voir, pour
plusieurs versions de ce sujet pictural, le site Utpictura18,
sous la dir. de Stéphane Lojkine, http://galatea.univ-tlse2.fr/pictura/, recherche sujet : ‹ Sujet
d’histoire sacrée. La Résurrection de Lazare ›. Le coloris en est riche, le
dessein correct, les contours gracieux, l'ordonnance bien entendue ; mais j'
aurois
aurais
desiré un peu plus de feu dans l'action : la dégradation des objets est
trop étudiée ; tout y semble fait à la
régle
règle
et au compas ; ce qui jette un peu de froid dans cette belle
composition.
Les
talens
talents
sont partagés, repatrit Euphorbe ; et il est bien rare qu'un même homme
atteigne la perfection dans toutes les parties de son art. Cette réflexion nous ramène
assez naturellement à notre sujet ; car on peut l'appliquer aux ouvrages d'esprit,
comme à la peinture, à la sculpture ; en un mot, à tout ce qui peut occuper notre
raison. Dans le récit, par exemple, l'un est plein de chaleur, et dans son enthousiasme,
néglige tout le reste. Quel
Ecrivain
écrivain
plus animé que le
P.
Père
Maimbourg, dans la description d'une bataille ; mais en même temps, moins
solide et moins judicieux ?Il s'agit de Louis Maimbourg
(1610-1686), homme d’Église et historien. Il est l'auteur, entre autres, d'une Histoire des croisades pour la délivrance de la Terre Sainte, 1686
(voir bibliographie).
L'autre est exact ; mais ne saisit jamais ces traits hardis et ce
beau désordre, qui caractérisent souvent la nature. Il est des occasions, où c'est une
espece
espèce
de
régle
règle
de négliger les
régles
règles
. Une grande passion, un mouvement violent doit porter dans le
stile
style
le trouble, dont l'
ame
âme
est agitée. Pacuvius, ami et partisan d'Annibal, soupe avec son fils chez le
général
Carthaginois
carthaginois
. Il sort un moment de la salle ; son fils le suit ; et c'est pour lui
apprendre qu'il va, pendant son absence, poignarder le vainqueur des Romains, pour faire
sa paix avec Rome. Le temps presse : le jeune homme
paroît
paraît
déterminé. Per ego te fili
, s'écrie le
pere
père
éperdu Tit. Liv. l. 23, c. 9
Tite-Live, Ab Urbe condita (Histoire
romaine), livre 23, section 9 (voir bibliographie). La phrase provient du
passage suivant : « Quae ubi uidit audiuitque senex, uelut si iam agendis quae
audiebat interesset, amens metu 'per ego te' inquit, 'fili, quaecumque iura liberos
iungunt parentibus, precor quaesoque ne ante oculos patris facere et pati omnia infanda
uelis'. », quaecumque jura liberos jungunt parentibus,
precor quœsoque
......
...
. Le désordre de ces expressions ne convient-il pas merveilleusement au
tumulte qu'
excitoient
excitaient
dans le cœur de ce malheureux
pere
père
, la
reconnoissance
reconnaissance
pour un ami, la tendresse pour un fils, le danger pressant de l'un et de
l'autre ? Pour réussir dans de pareilles peintures, il faut que l'
Auteur
auteur
se place dans les mêmes circonstances, et ressente les mêmes émotions que ses
Acteurs
acteurs
. Si vis me flere dolendum est primum ipsi tibi
Hor. de Arte Poët. v. 102.,
disoit
disait
Horace : si vous voulez m'arracher des larmes, commencez par en verser
vous-même.
Sur ce
pied-là
pied là
, reprit vivement Timagène, l'imagination de Virgile
devoit
devait
être dans une belle agitation, lorsqu'il
composoit
composait
l'épisode de Nisus et d'Euryale. Jamais situation ne
fût
fut
plus violente. Euryale est déjà entre les mains des ennemis. Nisus, pour dégager
son malheureux ami, profite des
ténébres
ténèbres
qui le cachent, et de deux coups de traits renverse deux des plus distingués de
la troupe. Volcens, qui la
commandoit
commandait
, furieux de ne pouvoir découvrir la main d'où partent ces coups, veut s'en
venger sur Euryale, et fond sur lui l'épée haute. Nisus, à ce spectacle, n'est plus maître
de lui même : il se jette à travers l'escadron des Rutules : il s'écrie me me, adsum qui feci, in me convertite ferrum
Æn. lib. 9, v. 427. Dans toute autre circonstance, cette façon de parler,
seroit
serait
assurément un phébusC'est-à-dire, serait une façon de parler
guindée, trop figurée. Voir Féraud, Dictionnaire critique de la langue
française, 1787-88. inintelligible ; ici c'est l'explosion naturelle d'une passion impétueuse, dont le
poëte
poète
devoit
devait
éprouver lui-même alors tous les
symptomes
symptômes
. Ce sont là de ces beautés si
particulieres
particulières
à une langue, qu'on ne peut les faire passer dans l'autre ; et je ne sais
ce qui
pourroit
pourrait
remplacer dans la nôtre, cette admirable confusion.
Il est vrai, poursuivit Euphorbe, que la
sévere
sévère
exactitude de notre
françois
français
, donne quelquefois des entraves à l'imagination. Elle permet à peine quelques
inversions dans la
poësie
poésie
.La question de l'inversion dans les langues anciennes et
modernes était fort débattue au XVIIIe siècle. Pour peindre de grands
mouvemens
mouvements
, nous n'avons presque d'autre ressource que ces phrases interrompues, et coupées
par des points, dont nos écrivains aujourd'hui usent, ou plutôt abusent, bien souvent.
Racine s'en est servi dans Athalie.Acte 3,
sc.
scène
5. Le grand prêtre Joad
avoit
avait
fait les reproches les plus
sanglans
sanglants
à Mathan, pontife de Baal : celui-ci, dans l'impuissance de se venger,
entre dans
un
une
espece
espèce
de délire furieux, et balbutie ces mots :
Avant la fin du jour..... on verra qui de nous.....
Doit..... mais sortons, Nabal.
Au milieu de ces phrases entrecoupées, vous voyez que les termes sont
toujours dans leur ordre naturel.
Je crois, que pour rendre en
françois
français
le vers de Virgile, reprit Timagène, on
pourroit
pourrait
faire dire à Nisus, en suivant ce principe ; c'est moi...
Rutules... je suis l'auteur du forfait...
vangez
vengez
-vous sur moi... Tout cela est cependant bien moins animé que l'expression
du
poëte
poète
latin ; et il faut avouer que chaque langue a des beautés qui lui sont
propres. La
notre
nôtre
, par exemple, réussit admirablement dans ce
stile
style
coupé, qu'on emploie si souvent avec succès dans le récit. Un
Auteur
auteur
ingénieux du
siécle
siècle
passé trouve le principe de cette qualité, dans le caractère même de notre
nation.Bouhours, Entr. sur la Lang. Franç.
Les Entretiens d'Ariste et d'Eugène (1671) du père Bouhours
(voir bibliographie) contiennent un
« Second entretien : La langue françoise » ; Eugène y affirme : « [...]
le langage suit d'ordinaire la disposition des esprits ; et chaque nation a
toujours parlé selon son génie » (p. 92 de l'édition de 1673).
Les
François
Français
, dit-il, qui ont beaucoup de vivacité et de feu, ont un langage court et
animé. Aussi nos ancêtres, qui
étoient
étaient
plus prompts que les Romains, accourcirent presque tous les mots qu'ils
prirent de la langue latine... Au reste, ajoute-t-il, nous avons trouvé le secret de
joindre la brièveté,
non-seulement
non seulement
avec la clarté, mais encore avec la pureté et la
politesse.
Père Bouhours, Entretiens
d'Ariste et d'Eugène (1671), « Second entretien : La langue françoise », p.
93-94 de l'édition de 1673 (voir bibliographie). En effet, dans nos bons
Auteurs
auteurs
, la rapidité de l'expression égale celle de l'action. M. Bossuet semble avoir
tout le feu du grand Condé, lorsqu'il dit de lui Or. Fun. du Pr. de
Condé.
Voir Bossuet, « Oraison funèbre de Louis de Bourbon,
Prince de Condé », dans : Recueil des oraisons funèbres
prononcées par Jacques-Bénigne Bossuet, Paris : Dupuis, 1691, p. 467-562
(voir bibliographie). :
Le voyez-vous comme il vole, ou à la victoire, ou à la mort ?
Aussi-tôt
Aussitôt
qu'il eut porté de rang en rang l'ardeur dont il
étoit
était
animé, on le vit presque en même temps, pousser l'aile droite des ennemis,
soutenir la
notre
la nôtre
ébranlée,C'est-à-dire, soutenir notre aile
ébranlée. rallier les
François
Français
à demi-vaincus, mettre en fuite l'Espagnol victorieux, porter
par-tout
partout
la terreur, et étonner de ses regards
étincelans
étincelants
, ceux qui
échappoient
échappaient
à ses coups.
Quelle vivacité l'abbé de Vertot ne met-il pas dans le
récit de la mort du fameux Vasconcellos gouverneur de Portugal, pour le Roi d'Espagne
Révol. de Port. pag. 179.
Abbé Aubert de
Vertot, Histoire de la conjuration du Portugal, Paris : Vve
de E. Martin, J. Boudot, E. Martin, 1689 (voir bibliographie). ?
Aussi-tôt
Aussitôt
les conjurés
entrerent
entrèrent
en foule dans la chambre du secrétaire : on le cherche
par-tout
partout
; on renverse lits, tables, on enfonce les coffres pour le trouver :
chacun
vouloit
voulait
avoir l'honneur de lui donner le Desit: identifier passage chez
Vertot.
premier coup.
Les guillemets initiaux
manquent dans l'original. Ces phrases courtes et détachées forment
un
une
espece
espèce
d'enchantement, qui me transporte sur les lieux : j'y partage tous les
mouvemens
mouvements
des
différens
différents
personnages : j'y prends part au tumulte, à l'agitation, au désordre même
qui y règne.
Pensez-vous, interrompit Euphorbe, que nos
Auteurs
auteurs
ayent
aient
seuls la baguette des fées ? Ils l'ont peut-être empruntée des latins. Du
moins ceux-ci savent-ils l'employer dans l'occasion. Un ou deux exemples vont vous en
convaincre. Dans l'
Andrienne
Andrienne
de Terence, ne trouve-t-on pas ce récit, aussi naturel qu'il est
concis ?
Cependant le convoi s'avance ; nous
suivons : on arrive au lieu de la sépulture ; on la met sur le
bûcher : on pleure.Funus interim
Procedit ; sequimur : ad sepulchrum venimus ;
In ignem imposita est : fletur.Térence, Andria (L'Andrienne), acte I, vers 127-130 (voir bibliographie).
Y a-t-il moins de précision dans ce beau morceau, où Ciceron décrit la
maniere
manière
dont Verres s'empara d'un superbe
candelabre
candélabre
, qu'Antiochus
avoit
avait
fait porter chez ce
prêteur
préteur
Verres (Caius Licinus Verres, 120-43 av. JC.), homme d'État
romain, obtint le rang de préteur en 74 av. JC., pour satisfaire sa curiosité ? Verrès ordonne aux députés de se
retirer et de laisser le candélabre : ainsi, ils retournent vers Antiochus les
mains vides. Le Roi d'abord n'a ni crainte ni soupçon. Un jour, deux jours, plusieurs
jours se passent. On ne le rapporte point. Alors le prince envoye demander au préteur
s'il veut bien le lui remettre. Celui-ci répond, qu'on revienne dans quelque temps. Le
roi surpris, renvoye de nouveau. On ne rend rien.
Jubet Verres illos discedere, et candelabrum relinquere. Sic illi tum
inanes ad Antiochum revertuntur. Rex primo nihil metuere, nihil suspicari. Dies unus,
alter, plures ; non referri. Tum mittit ad istum si sibi videatur ut reddat. Jubet
iste posterius ad se reverti. Mirum illi videri. Mittit iterum. Non
redditur.
Cicéron, In Verrem (Les Verrines), second discours, livre 4, section 65 (voir bibliographie). Quelle rapide énergie dans ces vers de
Boëce
Boèce
, au sujet de la descente d'Orphée aux enfers ?
Heu noctis prope terminos
Orpheus Euridicem suam
Vidit, perdidit, occidit.Boèce, De Consolatione
Philosophiae (La Consolation de la Philosophie, 225),
chapitre III (voir bibliographie).
Pour bien rendre cette précision, notre langue est en défaut.
A
À
la
bonne-heure
bonne heure
, répondit Timagène : mais il est certain que les latins
employent
emploient
, moins souvent que nous, cette
espece
espèce
de
stile
style
, surtout dans les grands sujets. Vous ne disconviendrez pas que celui de
Tite-Live, par exemple, dans la description du combat des Horaces, ne soit nombreux et
périodique.Tite-Live, Ab Urbe condita (Histoire romaine), livre I (voir bibliographie).
Je l'avoue, repartit Euphorbe. D'un autre côté, les latins ont une façon de s'exprimer,
même dans les récits les plus nobles, que nous n'osons mettre en usage que dans le badin
ou le naïf, et presque jamais dans la prose. C'est ce que les grammairiens appellent
l'infinitif. Cicéron, dans le récit qu'il fait du repas donné à
Verrès
Verres
par le
Roi
roi
Antiochus, dépeint ainsi l'empressement du
prêteur
préteur
Romain à considérer les vases magnifiques qui
ornoient
ornaient
la table :In Verrem de signis.
Ille unumquodque vas in manus sumere, laudare, mirari : Rex
gaudere
.Cicéron, In Verrem (Les Verrines), second discours, livre 4, section 63 (voir bibliographie). Vous voyez
qu'ils ont en cela un avantage sur nous, qui les met à portée de donner à leur
stile
style
plus de
légereté
légèreté
.
Il est vrai, reprit Timagène, qu'on ne
passeroit
passerait
pas à un
François
Français
cette façon de
parler, si ce n'est peut-être dans la conversation la plus
familiere
familière
. Je ne m'en rappelle pas même d'autre exemple, que celui de la fable du lièvre
et des grenouilles dans
la Fontaine
La Fontaine
.
Grenouilles
aussi-tôt
aussitôt
de sauter dans les ondes ;
Grenouilles de rentrer dans leurs grottes profondes.
Desit : référence La Fontaine.
Mais je crois que l'on peut se dédommager de ce petit inconvénient par les moyens que
détaille Longin, dans son traité du sublime, tels que sont, le changement de temps, de
nombre, de personnes, la suppression des liaisons et des transitions. Aux exemples que
cite ce rhéteur, on en peut ajouter plusieurs, empruntés même de nos
Auteurs
auteurs
. En lisant ces jours-ci
Philippes de Commines
Philippe de Commynes
, j'en rencontrai un qui me parut figurer fort bien au milieu de son vieux
langage. Il s'agit de l'entrevue du Duc Charles de Bourgogne, avec le
Roi
roi
Édouard d'Angleterre, après que ce dernier eut conclu une trêve de neuf ans avec
Louis XI.
Chron. de Louis XI. ch. 75
Chronique de Louis XI, chapitre 75
.
Philippe de Commynes, Mémoires, vol. 1, livre IV, chapitre VIII : « Habiles manœuvres de Louis XI
», p. 275-281 dans notre édition de référence (voir bibliographie). Le passage entier est
le suivant : « Ledict duc se courrouça et parla en angloys, car il sçavoit le
langaige, et allegua aulcuns beaux faictz des roys d'Angleterre qui estoient passés en
France, et des peynes qu'ilz avoient prinses pour y acquerir honneur ; et blasma
fort ceste treve, disant qu'il n'avoit point cherché à faire passer les Angloys pour
besoing qu'il en eust, mais pour recouvrer ce qui leur appartenoit ; et, afin
qu'ils congneussent qu'il n'avoit nul besoing de leur venue, qu'il ne prendroit treve
avecque nostre roy, jusques le roy d'Angleterre eust esté trois moys dela la mer. Et
aprés ces parolles, part et s'en va de la où il venoit » (p. 281).
Ledit duc se courrouça, dit-il.... et blâma fort
cette trève, disant qu'il n'avait point cherché à faire passer les Anglais, pour besoin
qu'il en eût..... et afin qu'ils connussent qu'il n'avait nul besoin de leur venue,
qu'il ne prendroit trêve avec notre Roi, jusqu'à ce que le Roi d'Angleterre eût été
trois mois de-là la mer : et, après ces paroles, part et s'en va de-là où il
venait.
Ce temps présent me semble aussi brusque que l'incartade du duc. Le
stile
style
de l'historien
auroit
aurait
-il la même chaleur, s'il s'
étoit
était
contenté de dire, après ces paroles, il partit et s'en
alla ?
Ce tableau, ajouta Euphorbe, peut faire le pendant de celui que Clément Marot nous a
laissé dans l'épître, où il décrit à François I la
maniere
manière
dont son valet l'
avoit
avait
volé. Le présent dont il se sert, exprime très bien la précipitation d'un filou,
à qui les
momens
moments
sont précieux.
Finalement, de ma chambre il s'en va
Droit à l'étable, ou deux chevaux trouva :
Laisse le pire, et sur le meilleur monte ;
Pique, et s'en va.Clément Marot, « On dit bien vray, la maulvaise
Fortune... », épître écrite en 1531 ; (voir bibliographie), épître XXV, p.
171-176. Le passage cité par Bérardier correspond aux lignes 31 à 34. L’épître est
souvent citée comme le modèle d’un poème narratif « naturel » et « gracieux ». Voir
par exemple, les Éléments de littérature (1787, article «
Épître ») de Marmontel ou le Lycée ou cours de littérature
ancienne et moderne (1798-1804) de La Harpe. Dans le onzième entretien,
Bérardier cite une nouvelle fois l'épître de Marot (voir pages 635-636).
Ces changements de temps, ainsi que ceux de nombres et de personnes,
sont
très-propres
très propres
, non seulement à donner de la vivacité à la narration, mais aussi à en bannir la
monotonie,
espece
espèce
de langueur qui ne lui est que trop ordinaire.
N'est-il pas encore, reprit Timagène, un moyen aussi efficace de produire ce double
effet ? Il consiste à supprimer les transitions et les liaisons, qui
rallentissent
ralentissent
le discours lorsqu'elles se présentent trop fréquemment.Voir
également les remarques dans le second entretien, pages 39-40. Dans le second
livre de l'
Ænéide
Énéide
,
Ænée
Énée
raconte à Didon, que dans le désordre subit de la prise de Troie, Panthée
accourut à son palais, et il ajoute immédiatement, quo res summa loco
Pantheu ? quam prendimus arcem ?
Virgile, Énéide, livre 2. Où en sommes-nous, Panthée ? quel
poste occuperons-nous ; N'est-il pas vrai que vous suppléez aisément, je lui adressai la parole, je lui dis ; et que vous
sçavez
savez
bon gré au
poëte
poète
d'avoir supprimé ces phrases traînantes ? Est-il rien de plus léger que ce
morceau de
la Fontaine
La Fontaine
, dans la fable de la grenouille et du bœuf ?
desit : préciser références, édition de réf.
Regardez bien, ma sœur :
Est-ce assez ? dites-moi ; n'y suis-je point encore ?
Nenni. M'y voici donc ? Point du tout. M'y voilà ?
Vous n'en approchez point.La Fontaine, « La Grenouille qui
se veut faire aussi grosse que le bœuf », dans : Fables (voir bibliographie, livre I, fable 3.
Remplissez les
vuides
vides
de ce dialogue par ces mots, dit-elle, répondit-elle, et
le récit devient aussi ridicule que les efforts de la grenouille.
Vous voulez supprimer les liaisons, poursuivit Euphorbe, et moi je veux les multiplier.
Un seul exemple suffira pour vous montrer, qu'on ajoute des grâces au récit par la simple
répétition d'une conjonction. Rappelez-vous ces vers de Racine dans
Esther
Esther
.
On égorge à la fois les enfants, les vieillards,
Et la sœur et le
frere
frère
,
Et la fille et la
mere
mère
...Racine, Esther (1689), acte I,
scène 5 (voir bibliographie.
Mettez à la place de cela, la sœur, le frère, la fille, la mère,
on n'est plus si vivement frappé.
Voilà, interrompit Timagène, ce qui m'
impatienteroit
impatienterait
volontiers. Comment concevoir que deux causes diamétralement opposées,
produisent un même effet ? Je suis moins surpris de voir couler d'une même source une
eau froide et une eau bouillante.
Pour calmer votre impatience, répartit Euphorbe, on peut dire, que
l'effet ici n'est pas exactement le même. On retranche les liaisons, pour donner plus de
rapidité au
stile
style
, pour rendre la diction aussi vive que l'action, ou pour rassembler sous un seul
coup-d'œuil
coup d'œil
un grand nombre d'objets, que la multitude des expressions
rendroient
rendraient
trop isolés et moins capables,
par-là
par là
, de faire impression. On les multiplie, pour fixer l'attention de l'esprit plus
particuliérement
particulièrement
sur certains objets propres à l'intéresser et à l'émouvoir.
J'entends, reprit Timagène : on se sert du premier artifice, lorsqu'il faut réunir
les forces pour produire un grand effet. On emploie le second, lorsque chaque objet est
assez puissant par lui-même pour ébranler, et qu'on veut lui conserver tout son avantage.
Vous voyez que je rapproche toujours vos idées de celles qui me sont
familieres
familières
; mais les rapports me paraissent ici fort justes, et je crois qu'ils
donnent un nouveau jour à votre pensée.
Assurément, poursuivit Euphorbe ; et
c'est-là
c'est là
le véritable but de toute comparaison, et le plus grand fruit qu'elle puisse
produire.
Comptez-vous donc pour rien, répliqua Timagène, l'ornement qu'elle
ajoute au
stile
style
? Est-il-rien de plus beau que la comparaison dont se sert
Télemaque
Télémaque
, pour peindre le désordre et le trouble que l'amour
portoit
portait
dans son
ame
âme
: Mon cœur, dit-il, enivré d'un folle passion,
secouoit
secouait
presque toute pudeur ; puis je me
voyois
voyais
plongé dans un abîme de remords : pendant ce trouble, je
courois
courais
errant çà et là dans le sacré bocage, semblable à une biche qu'un chasseur a
blessée : elle court a travers de vastes forêts pour soulager sa douleur ;
mais la
fleche
flèche
, qui l'a percée dans le flanc,
la suit partout ; elle porte partout avec elle le trait meurtrier. Ainsi je
courois
courais
en vain pour m'oublier moi-même,
&
et
rien n'
adoucissoit
adoucissait
la plaie de mon cœur.
Fénelon, Les Aventures de Télémaque (1699/1995), livre IV, p. 87-88 (voir bibliographie). Si j'ai bonne mémoire, ce morceau est
imité, ou pour mieux dire, traduit de Virgile, qui dit quelque part :
Æn. 1. 4, v. 69.
Qualis
conjecta cerva sagitta,
Quam procul incautam nemora inter Cressia fixit
Pastor agens telis, liquitque volatile ferrum
Nescius ; illa fuga silvas saltusque peragras
Dictœos : hœret lateri lethalis arundo.
Ce n'est pas la seule occasion, reprit Euphorbe, où le prélat ait profité des
comparaisons du
poëte
poète
de Mantoue. Ce dernier
avoit
avait
dit, en parlant de la mort d'Euryale,
Æn. 1. 9, v. 435.
Purpureus veluti cum
flos succisus aratro
Languescit moriens :
Le
poëte
poète
François
français
, en décrivant la mort d'Idamante, emprunte la même idée. Tel qu'un beau lis au milieu des champs
,
coupé dans sa racine par le tranchant de la charrue
, languit
languit,
&
et
ne se soutient plus
;
,
il n'a point encore perdu cette vive blancheur
&
, et
cet éclat qui charme les yeux
; mais
. Mais
la terre ne le nourrit plus,
&
et
sa vie est éteinte
: ainsi
. Ainsi
le fils d'Idomenée, comme une jeune et tendre fleur, est cruellement moissonné
dès son premier âge.
Fénelon, Les Aventures
de Télémaque (1699/1995), livre V, p. 100 (voir bibliographie). Vous voyez que le
françois
français
n'est que la paraphrase du latin. Au reste, je conviens volontiers avec vous,
que les comparaisons sont unDesit: indexer périphrases.
des plus beaux
ornemens
ornements
du récit, pourvu que vous
reconnoissiez
reconnaissiez
aussi que leur agrément dépend du nouveau jour qu'elles donnent aux pensées.
C'est ce qui rend si nécessaire à toute comparaison, la justesse. Sans cette qualité, elle
embarasse l'esprit loin de l'éclairer ; et
dès-lors
dès lors
elle ne peut plaire. Il ne faut pas même qu'elle soit puisée dans des objets
trop éloignés, difficiles et peu connus. Sa fin est d'éclaircir ma vue : qu'en
penserai-je, si elle répand elle-même un nuage devant mes
ieux
yeux
? Une belle comparaison emprunte des couleurs
étrangeres
étrangères
, pour mieux exprimer des traits qu'on eût désespéré de bien rendre sans ce
secours ; et la variété de ces divers tableaux a toujours des charmes. Le sublime
Bossuet a souvent recours à ce moyen, pour donner à son
stile
style
une force qui réponde à la grandeur de ses idées.
Pouvoit
Pouvait
-il mieux nous faire concevoir la fermeté inébranlable de La Reine d'Angleterre,
que par cette
compaparaison
comparaison
, aussi juste qu'elle est noble. Comme une colonne, dont la
masse solide paraît le plus ferme appui d'un temple ruineux, lorsque ce grand édifice
qu'elle soutenait, fond sur elle, sans l'abattre ; ainsi la Reine se montre le ferme soutien de l'état, lorsqu'après en avoir longtemps porté le
faix, elle n'est pas même courbée sous sa chute.
Je ne
sçais
sais
si vous remarquez ici, comme moi, quelque chose de négligé, peut-être même de
rude, dans l'expression. Ce morceau est pourtant de la plus grande beauté. C'est que les
seuls objets suffisent pour nous frapper et nous ravir. On est vraiment grand, quand on
l'est ainsi par soi-même. Cette idée a beaucoup de rapport avec celle de
Séneque
Sénèque
, qui compare un grand homme dans sa
chûte
chute
, avec ces temples démolis, dont les personnes religieuses
réverent
révèrent
jusqu'aux ruines. Si magnus vir cecidit.... non magis illum
contemni (respondebo) quam cum œdium sacrarum ruinœ calcantur, quas religiosi œque ac
stantes adorant.
Lib. de consol. ad Helviam, cap. 13.
Dans ces deux exemples, poursuivit Timagène, je trouve quelque chose de plus que de la
justesse. J'y vois des rapports naturels, et une comparaison qui n'est point amenée de
trop loin. Qui eût jamais imaginé, par exemple, de comparer la mort
avec Tarquin le superbe, comme le fait Strada dans son histoire, lorsqu'il dit, à l'an
1559 :Plane ut ea tempestate mors
demetendo majorum gentium capita atque hominum apices, superbum illum summa papavera
decutientem imitari visa sit.
.
Dans ce temps, la mort, en moissonnant tant d'hommes distingués par
leur rang et par leur naissance, sembla imiter Tarquin, lorsqu'il abattait la tête des
pavots de son jardin.
Le même auteur, dans un autre endroit fait usage d'une
comparaison encore moins juste que celle-là, et qui ne me semble pas moins
alambiquée.Adeo non ex vano observatum curœ
esse Deo principum vitam ; quasi non magis cordi in homine, quam imperatori in
excrcitu, novissimum mori datum sit.
De bello Belg. Dec. 2. lib.
3.Tant il est vrai, dit-il, comme on l'a observé, que Dieu
prend un soin particulier de la vie des princes, comme si c'
étoit
était
le
privilége
privilège
du général dans une armée, ainsi que du cœur dans le corps humain, de mourir
le dernier.
Je me rappelle d'avoir lu dans une
piece
pièce
de vers sur la bataille de
Fontenoi
Fontenay
, donnée par un
Auteur
auteur
qui vit encore, deux comparaisons bien différentes de celles-là, et qui m'ont
paru de la plus grande justesse. Dans la
premiere
première
, le
poëte
poète
déplore ainsi le malheur de la Flandre :
De meurtres affamé le démon des batailles
De ses barbares mains déchire tes entrailles :
Pour nourrir sa fureur tu renais chaque jour ;
Et ton sort est pareil au destin déplorable
De ce fameux coupable,
Immortel aliment de l'avide vautour.
Dans la seconde, il console cette même province, par l'espérance des biens que cette
guerre va lui procurer, et il se réprend ainsi :
Que dis-je ? Contre toi quand Louis se déclare,
Sensible à tes malheurs, sa bonté les répare :
Tu devras ton bonheur à son bras irrité.
C'est ainsi que le nil franchissant son rivage,
Dans les champs qu'il ravage
Répand le germe heureux de leur fécondité.
Ces applications sont, assurement, des plus heureuses. Elles ont même un autre mérite, dont nous n'avons point encore parlé ; c'est leur
noblesse. Notre bon évêque de Crémone, Jérôme Vida, n'a pas oublié dans sa
poëtique
Poétique
, de remarquer cette qualité de la comparaison. Selon luiPoet. lib. 2., quoiqu'on puisse y faire jouer un rôle à certains insectes, tels
que les abeilles et les fourmis, il ne convient point d'y employer des animaux, qui ont
quelque chose de vil et de méprisable par eux-mêmes.
A
À
cette occasion, il ne ménage point le divin
Homere
Homère
. Sans le nommer, il lui reproche d'avoir comparé un des héros
Grecs
grecs
dans sa retraite, à ce quadrupede patient et entêté, dont le nom est l'
emblême
emblème
de l'ignorance et de la stupiditéIl. lib. 2. v. 557..
Il remarque que Virgile, dans la même conjoncture, nous peint plus noblement Turnus, sous
l'idée d'un lion forcé par les chasseurs de reculerÆn. lib. 9..
Je vous avoue que sa critique ne me
paroît
paraît
pas trop déraisonnable.
Dussiez-vous m'accuser, reprit Euphorbe, d'être partisan d'
Homere
Homère
jusques
jusque
dans ses défauts, j'essaierai de l'excuser, même en admettant le
principe établi par votre prélat, que la comparaison doit avoir de la noblesse. Il y a une
bassesse qui vient de la nature des choses, et une autre qui n'est fondée que sur
l'opinion. Cette
derniere
dernière
varie selon les temps et les lieux. Dans le
siécle
siècle
où
écrivoit
écrivait
Homere
Homère
, les hommes n'
estimoient
estimaient
encore les objets qu'à proportion de leur utilité, et non de leur éclat. Suivant
cette
régle
règle
, l'animal employé dans la comparaison du
poëte
poète
grec, loin d'être méprisable,
devoit
devait
tenir un rang distingué parmi ses semblables. Cela devient encore plus sensible,
quand on réfléchit qu'
Homere
Homère
, quatre vers plus haut,
avoit
avait
comparé le même Ajax, dans la même circonstance, au roi des animaux. Il ne
pensoit
pensait
donc pas que l'un fût plus ignoble que l'autre : il
trouvoit
trouvait
seulement les rapports plus parfaits dans le dernier. Du temps de Virgile, les
idées, comme les mœurs,
étoient
étaient
changées déjà. Il a dû se plier à la façon de penser de ses lecteurs.
En vérité, répliqua Timagène, Madame Dacier n'
auroit
aurait
pas mieux défendu le chantre d'Achille.Desit: Note sur Dacier Mais
permettez-moi ici une réflexion, que je ne crois pas déplacée. Je
rencontre fort peu de comparaisons dans les bons historiens anciens et modernes. D'où
vient, s'il vous plaît, sont-ilsC'est-à-dire, 'Pourquoi
sont-ils...'. si avares de cette
espece
espèce
de richesse ?
La marche de l'histoire, répondit Euphorbe, est toujours sage et modeste ; et la
comparaison n'ayant d'autre effet que de donner plus d'éclat, ou plus de nerf à la pensée,
elle porte avec elle un air de prétention, qui s'accorde rarement avec la gravité de ce
genre d'écrire. On passe à un jeune militaire un équipage, qui
siéroit
siérait
mal à un ancien magistrat. Par cette raison, les comparaisons sont plus
fréquentes et figurent mieux dans la narration
poëtique
poétique
, que dans les récits en prose.
Mais, reprit Timagène, dans ceux-ci on admet souvent le
parallele
parallèle
, qui n'est qu'une comparaison continuée.
D'accord, répartit Euphorbe ; mais, dans le premier, l'utilité l'emporte sur
l'agrément ; et, dans la seconde, l'agrément sur l'utilité. Si vous y faites
attention, vous verrez que le
parallele
parallèle
tient beaucoup du portrait et du
caractere
caractère
. Que se propose, en effet, l'
Auteur
auteur
, dans ces comparaisons suivies ? De donner une
connoissance
connaissance
claire et parfaite d'un objet, par sa ressemblance, ou sa
différence avec un autre. Ce sont, à proprement parler, deux portraits qu'il rapproche
& &
et
Dédoublement de l'ampersant dans l'édition originale, sans
doute en lien avec de la fin de la ligne qui se trouve à cet endroit. qui se
communiquent mutuellement une nouvelle
lumiere
lumière
. Le
parallele
parallèle
a donc les mêmes droits que le portrait, puisqu'il procure les mêmes avantages.
En conséquence, nos bons
Auteurs
auteurs
en fournissent plusieurs modèles. Tel est celui du
Roi
roi
de
Suéde
Suède
et de Pierre-le-Grand, dans
la vie de Charles XII
La Vie de Charles XII
.
L'Histoire de Charles XII, roi de
Suède, comme est le titre exact, est un ouvrage de Voltaire datant de 1730 (voir
bibliographie).
Charles était illustre par neuf années de victoires, Pierre
Alexiowitz, par neuf années prises pour former des troupes égales aux troupes
Suédoises ; l'un, glorieux d'avoir donné des Etats, l'autre, d'avoir civilisé les
siens ; Charles, aimant les dangers, et ne combattant que pour la gloire,
Alexiowitz, ne fuyant point les périls, et ne faisant la guerre que pour ses
intérêts ; le monarque Suédois, libéral par grandeur d'ame, le Moscovite, ne
donnant jamais que par quelque vue ; celui-là, d'une sobriété et d'un continence
sans exemple, d'un naturel magnanime, et qui n'avait été barbare qu'une fois ;
celui-ci, n'ayant pas dépouillé la rudesse de son éducation et de son pays, aussi
terrible à ses sujets qu'admirable aux étrangers, et trop adonné à
des excès qui ont même abrégé ses jours. Charles avait le titre d'Invincible, qu'un
moment pouvait lui ôter : les nations avaient déjà donné à Pierre Alexiowitz le nom
de Grand, qu'une défaite ne pouvait lui faire perdre, parce qu'il ne le devait pas à des
victoires.
Vous m'avouerez que ces traits ainsi opposés et réunis dans un même
tableau, deviennent plus
saillans
saillants
, et nous donnent une idée plus nette des personnages qu'on veut nous faire
connoître
connaître
.
L'
Auteur
auteur
qui vous a fourni ce
parallele
parallèle
, continua Timagène, nous en a donné un autre dans
la Henriade
La Henriade
, qui m'a toujours paru bien frappé. C'est celui des deux fameux ministres,
Richelieu et Mazarin.
Henr. ch. 7.Richelieu, grand, sublime, implacable
ennemi ;
Mazarin souple, adroit et dangereux ami :
L'un fuyant avec art, et cédant à l'orage ;
L'autre, aux flots irrités opposant son courage :
Des princes de mon sang ennemis déclarés :
Tous deux haïs du peuple, et tous deux admirés :
Enfin par leurs efforts ou par leur industrie
Utiles à leurs rois, cruels à la patrie.On trouve dans
l'original, ici, et contrairement à la pratique dans le reste du texte, des
guillemets suivis dans une citation de vers.
J'admire, avec vous, répartit Euphorbe, la richesse et l'exactitude de ce
parallele
parallèle
; mais, en vérité, je ne
sçaurais
saurais
vous passer le dernier vers. Il me
paroît
paraît
choquer toutes les idées reçues. Que veut dire, être utile à son roi, et cruel à
sa patrie ? Quand il s'agit des devoirs, roi, état, patrie, sont des termes
synonimes
synonymes
. Un royaume est une grande famille, dont le souverain est le
pere
père
; et, comme tel, il en est le représentant et en
posséde
possède
tous les droits. Voilà la source de l'obligation où sont les sujets de donner
leur vie pour leur souverain. S'il
cessoit
cessait
de l'être, cette obligation ne
subsisteroit
subsisterait
plus, parce qu'il ne
seroit
serait
plus un même objet avec la patrie, qui a sur nous des droits naturels et
inviolables. Au reste, quoi qu'il en soit de cette question, elle n'excuse point votre
Auteur
auteur
. Par malheur pour lui, il s'agit dans l'endroit que nous discutons de deux
princes, dont l'un a mérité de la postérité le surnom de Juste, et l'autre, celui de Grand. Si l'
Auteur
auteur
eût dit ; utiles aux tyrans, cruels à la patrie, la pensée
auroit
aurait
blessé la vérité de l'histoire ; mais elle
auroit
aurait
été plus aisée à concevoir. D'ailleurs, la plupart des
Auteurs
auteurs
qui ont parlé de ces deux grands ministres, nous en ont laissé une idée bien
différente. Sans dissimuler leurs vices, ils louent leurs projets, et les services qu'ils
ont rendus à l'état. Amelot de La Houssaye n'
étoit
était
pas prodigue de louanges, vous le
sçavez
savez
. Voici ce qu'il dit du cardinal de Richelieu, dans ses notes sur Tacite.Ann. de Tac. l. 6.
Qu'un ministre soit
ambibieux
ambitieux
, jaloux, vindicatif, et quelquefois trop rigoureux, ainsi qu'on l'a reproché à
M. le cardinal de Richelieu, il sera néanmoins digne de ce poste, et même préférable à
tout autre, s'il a toutes les qualités qu'avait ce ministre, l'intelligence, la fermeté,
la vigilance, l'activité, le discernement des esprits, la prévoyance, enfin la même
promptitude à récompenser les services rendus à l'état, qu'à punir, sans miséricorde,
les trahisons, les conspirations, les révoltes et les autres crimes
de lèse-majesté.
Dans la
vie de Louis XIII
Vie de Louis XIII
, par le
P.
Père
GriffetTroisième vol. an. 1642., vous trouverez, sur
le
ministere
ministère
de ce fameux cardinal, le suffrage de deux hommes éclairés dans cette
matiere
matière
. L'un est le comte-duc d'Olivarès, qui avoua à l'ambassadeur de France avoir souvent déclaré au Roi d'Espagne, que son plus grand malheur venait
de ce que le Roi de France avait le plus habile ministre qui eût paru depuis mille ans
dans la chrétienté ; et, que pour lui, il consentirait volontiers, que l'on
imprimât tous les jours des bibliothèques entières contre lui, pourvu que les affaires
de son maître fussent aussi bien conduites que celles du Roi très chrétien.
Le
second, est le Tzar Pierre-le-Grand, qui à la vue du tombeau de ce ministre s'écria :
Grand homme, si tu étais encore vivant, je te donnerais tout à
l'heure la moitié de mon empire, à condition que tu m'apprendrais à gouverner
l'autre.
De pareils éloges laissent-ils soupçonner que Richelieu ait été
nuisible à la France ? Ce qu'en dit le président Hénault, est
encore plus décisif.Abr. Chr. an. 1642.
Qu'il puisse y avoir un homme, né assez grand et assez ennemi de
lui-même pour s'occuper tout entier de l'administration d'un royaume, où il est
également craint et de celui qu'il sert et de ceux qu'il soumet ; en vérité, c'est
un problème qu'il n'appartient qu'aux passions de résoudre, ou un amour du bien public
fort au-dessus de l'humanité.
Venons au cardinal Mazarin. L'
Auteur
auteur
de
la vie de Louis XIV
La Vie de Louis XIV
termine ainsi le portrait de ce ministre étranger.Reboulet,
troisième vol. p. 262.
Les personnes sensées le regrettèrent sincèrement et de bonne foi,
comme un homme qui avait rendu de très grands services à l'état, et dans lequel, à tout
prendre, il y avait beaucoup plus de bien, que de mal.
Enfin M. de Fénelon fait,
en un seul trait, la critique la plus juste et l'éloge le plus vrai de ces deux hommes
illustres, lorsqu'il met ces mots dans la bouche du cardinal de Richelieu, parlant au
cardinal Mazarin dans les
champs Elisées
Champs-Élysées
:
Dialogue des morts.Nous servions tous deux l'état : en le servant, nous voulions l'un et
l'autre tout gouverner.
Dans tout cela, je vois de l'ambition et d'autres vices
condamnables ; mais je n'y vois point de cruauté envers la patrie.
Peut-être, interrompit Timagène, le
poëte
poète
veut-il dire seulement par ces expressions, que tous deux ils
abaisserent
abaissèrent
les grands, et qu'ils furent haïs du peuple.
Tenir les grands dans les bornes légitimes, répondit Euphorbe, c'est assurer la
tranquillité de l'état ; et un homme sensé ne prend point pour
régle
règle
la haine d'un peuple aveugle, qui souvent déchire la main qui le défend, et
bénit celle qui l'opprime, en le flattant.
Pour le coup, reprit Timagène, vous vous échauffez à votre tour, et jusqu'à vous écarter
de l'objet de notre conversation. Je suis bien aise de voir que vous me ressembliez
quelquefois.
Il est vrai, répartit Euphorbe, je suis
François
Français
: j'aime mon souverain ; et je ne puis me persuader que l'aimer, ce ne
soit pas aimer ma patrie.
C'est-là
C'est là
ce qui m'a un peu indisposé contre les vers que vous m'avez récités, quelque
mérite qu'ils aient d'ailleurs : car l'exactitude
&
et
la délicatesse des sentiments l'emporteront toujours sur les grâces du
stile
style
et sur le brillant des pensées. Ces
dernieres
dernières
sont cependant un des plus beaux
ornemens
ornements
du récit. Elles enrichissent la diction, réveillent l'attention, et préviennent
le dégoût et l'ennui. La belle verdure de ce
boullaingrain
boulingrin
C'est un parterre gazonné dans un jardin
seroit
serait
moins agréable à l'
œuil
œil
, sans ces milliers de fleurs dont elle est émaillée.
Je crois, dit alors Timagène en riant, que vous devez être content de nous sur ce point.
Tous nos écrits sont abondamment pourvus de pensées brillantes : on en trouve jusques
dans les annonces des livres. Nous en faisons commerce, et nous ne donnons point lieu de
craindre la banqueroute.
Ce commerce a pourtant ses dangers, reprit Euphorbe : on court de grands risques, si
on les prodigue inutilement et sans goût. Dans tel endroit une pensée délicate figure
bien, où une pensée grande et noble
seroit
serait
déplacée : celui-là en veut de naturelles et de simples. Il est même des
récits qui n'en admettent que d'une ou de deux
especes
espèces
, et rejettent les autres.
Les pensées délicates, dont vous venez de parler, poursuivit Timagène, si je ne me trompe, sont celles qui renferment un grand sens en peu de
mots, et qui font concevoir à l'esprit plus d'objets qu'elle n'en expriment ; par
exemple, ce vers de Virgile si connu,
Faute pardonnable, si les Dieux des enfers savaient pardonner.4. lib. Georg.
Ignoscenda quidem,
scirent si ignoscere manes.
Ce seul vers produit en nous la compassion pour Orphée, la terreur par rapport aux Dieux,
et nous fait conclure, qu'il n'est point de faute
légere
légère
, quand il s'agit de leur désobéir.
Vous pourriez ajouter à cette pensée, répartit Euphorbe, celle de M. de la
Rochefoucaud
Rochefoucauld
, lorsqu'il dit dans ses maximes, que le soleil et la mort
ne se peuvent regarder fixement.
Ne concevez-vous pas, dans cette seule phrase,
que, d'un côté, les feux
éclatans
éclatants
du soleil blessent notre prunelle ; que, de l'autre, le spectre hideux de
la mort jette l'horreur et l'effroi dans notre
ame
âme
; mais que, comme l'aigle arrête un
œuil
œil
immobile sur l'astre du jour, aussi quelques
ames
âmes
privilégiées voient avancer le trépas, sans s'
allarmer
alarmer
. Je
sçais
sais
que les rapports ici ne sont pas
tout-à-fait
tout à fait
exacts ; mais ce léger défaut ne nuit point à la fécondité de la
pensée.
Je ne vois rien de plus délicat, répliqua Timagène, que la réponse d'un paysan à Louis
XIV, rapportée par Rousseau, dans son Ode au comte de
Sinzindorf
Sinzendorf
.Il s'agit d'une ode écrite par Jean-Baptiste Rousseau pour
Philipp Ludwig Wenzel von Sinzendorf, comte de Sinzendorf-Neuburg (1671-1742),
ambassadeur d’Autriche en France sous Louis XIV. Vous rappelleriez-vous les
vers ? ils m'ont échappé.
Oui, répondit Euphorbe : les voici.
Ecoutez la leçon d'un Socrate sauvage,
Faite au plus puissant de nos rois.
Pour la troisième fois du superbe Versailles
Il faisait aggrandir le parc délicieux :
Un peuple harasse, de ses vastes murailles
Creusait le contour spacieux.
Un seul contre un vieux chêne appuyé, sans mot dire
Semblait à ce travail ne prendre aucune part :
A quoi rêves-tu là ? dit le prince. Hélas, Sire,
Répond le champêtre vieillard,
Pardonnez ; je songeais que de votre héritage
Vous avez beau vouloir élargir les confins :
Quand vous l'aggrandiriez trente fois davantage,
Vous aurez toujours des voisins.
Quelle foule de reflexions, s'écria Timagène, offre à l'esprit ce seul dernier vers, sur
la vaine gloire des princes, sur ses effets par rapport aux peuples, sur l'inutilité de
leur luxe et sur leur faiblesse au milieu de tant de puissance !
Cette pensée, reprit Euphorbe, joint à la délicatesse un autre avantage. Elle est
naturelle ; et la simplicité de l'expression met cette belle nature dans tout son
jour.Desit: Commenter belle nature. C'est surtout dans les anciens que nous
en trouvons de ce genre. Ils
cherchoient
cherchaient
moins l'esprit, et
par-là
par là
ils
arrivoient
arrivaient
plus sûrement à la perfection. J'admire toujours cette réflexion de Tite-Live, à
l'occasion de Brutus qui condamne à mort ses enfants Qui spectator
erat amovendus, eum ipsum fortuna exactorem supplicii dedit. T. Liv.
Dec. I. lib. 2.
: la fortune voulut qu'il
ordonnat un supplice, dont il n'aurait pas dû être même le spectateur.
Nous
trouvons dans notre
ame
âme
un témoin qui applaudit à la vérité de cette pensée : et c'est là la pierre
de touche du naturel. L'affectation est le vice le plus opposé à cette
espece
espèce
de mérite. Elle nous conduit aux pensées froides et recherchées. On veut dire
quelque chose de singulier, et on tombe dans le ridicule : témoin cette pensée du
cardinal de Rets
cardinal de Retz
Mém. chant. 2., Vous ne serez pas
surprise de ce qu'on le fut de la prison de M. de Beaufort ;
et cette autre
du Tasse, qui dit des pleurs d'Armide :Jer. déliv. chant.
4.
Ces larmes, quoique froides et humides, produisirent un effet pareil
à celui de la flamme : elles embrasèrent le cœur de mille guerriers. L'amour est
fécond en prodiges : il fait brûler dans l'onde, et tirer des flammes de la
glace.
Fût-il jamais rien de plus froid que tout cela ?
Desit:ref.
Cette
derniere
dernière
idée, répliqua Timagène, a bien du rapport avec celle d'un
poëte
poète
François
français
, qui dit de
S.
Saint
Louis lorsqu'il débarqua près de Damiette ;
Louis impatient saute de son vaisseau :
Le beau feu de son cœur lui fait mépriser l'eau.
C'est-là
C'est là
, à coup sûr, du
stile
style
précieux ; et j'aime bien mieux cette pensée de
la Fontaine
La Fontaine
, en parlant d'un mort qu'on
alloit
allait
mettre en terre ;
.....
...
Vêtu d'une robe, hélas, qu'on nomme bière,
Robe d'hiver, robe d'été,
Que les morts ne dépouillent guère.
Voilà, sans contredit, du naturel et du vrai. Mais vous venez de dire, il n'y a qu'un
moment, que certains récits n'
admettoient
admettaient
pas toutes sortes de pensées. Il me semble néanmoins que les exemples qui se
sont présentés à notre esprit, sont à peu près dans tous les genres.
Aussi est-il vrai, repartit Euphorbe, que les pensées naturelles et délicates sont
bien venues
bienvenues
par-tout
partout
. Il n'en est pas de même de celles qui sont nobles et grandes. Comme elles
doivent être proportionnées à la matièreAilleurs dans l'Essai sur le récit, même dans cet entretien (par exemple page 285), Bérardier omet l'accent dans 'matière'.
qu'on traite, elles ne trouvent point de place dans les récits badins, simples, ou
plaisans
plaisants
, tels que ceux de la fable, de la conversation, de la comédie, et autres
semblables.
Je ne
reconnois
reconnais
plus le sage et naïf
la Fontaine
La Fontaine
, lorsqu'en parlant de deux
chevres
chèvres
qui s'obstinent à passer ensemble sur un pont trop étroit, il ajoute,
Je m'imagine voir avec Louis-le-Grand,
Philippe quatre qui s'avance
Dans l'isle de la Conférence.
Prodiguer ces grandes idées pour un objet aussi mince, c'est revêtir un nain de l'armure
d'un géant.
Vous ne porterez pas, sans doute, le même jugement, poursuivit Timagène, d'une autre
réflexion du même fabuliste, lorsqu'au sujet d'une
poulle
poule
qui mit la discorde entre deux coqs, il s'écrie,
Amour, tu perdis Troye, et c'est de toi que vint
Cette querelle envenimée,
Ou du sang des Dieux même on vit le Xanthe teint.
Il y a une grande différence entre ces deux exemples, reprit Euphorbe. Dans celui-ci la
réflexion semble naître tout naturellement du sujet ; ce qui n'est pas dans l'autre.
Par cette raison, le ton de grandeur que l'on donne à cette pensée,
que vous avez rapportée, se trahit au premier
coup-d'œuil
coup d'œil
, et l'on
reconnoît
reconnait
aisément un sublime affecté, qui ne contribue qu'à rendre la narration plus
plaisante. La
premiere
première
, au contraire,
paroît
paraît
amenée dans cet endroit malgré elle, et l'on est porté à croire que l'
Auteur
auteur
compare sérieusement des objets si disproportionnés. Jamais il n'y eut aucune
analogie, même plaisante, entre la démarche de deux
chevres
chèvres
, et l'entrevue de deux grands monarques.
Ce que vous dites ici, continua Timagène, me rappelle d'avoir vu autrefois beaucoup de
ces allusions dans Ciceron. Il y en a une, entr'autres, où il compare les festins de
Verrès
Verres
à la journée de Cannes, et qui est
tout-à-fait
tout à fait
propre à peindre l'indécence et la
grossiéreté
grossièreté
de ces plaisirs familiers au
prêteur
préteur
romainItaque exitus erant ejusmodi, ut alius inter manus e
convivio, tanquam e prelio auferretur, alius tanquam occisus relinqueretur, [p275]
plerique fusi sine mente ac fine ullo sensu jacerent, quivis ut cum aspexisset, non se
pretoris convivium, sed Cannensem pugnam nequiriæ videre arbitraretur. In Ver. lib. 5. n. 28.
.Telle étoit, dit-il, l'issue
de ces repas. On emportoit celui ci de table, comme on emporte de la mêlée un soldat
blessé : celui-là étoit laissé pour mort : plusieurs
demeuroient étendus sur la place, sans connoissance ni sentiment. Enfin, si vous étiez
entré dans cette salle, vous n'auriez jamais cru voir le festin d'un
prêteur
préteur
, mais une nouvelle bataille de Cannes, où l'on faisoit assaut de
débauches.
Les guillemets finaux manquent dans l'original et
ont été suppléés. Je ne vois rien qui réussisse mieux à égayer le
stile
style
, que cet artifice qui rapproche un objet grand et noble, d'un autre petit, ou
même méprisable. Je m'imagine voir un enfant monté sur des échasses. Avec ce secours, il
paroît
paraît
plus grand que ceux qui l'environnent ; mais cette élévation fait mieux
remarquer sa petite taille, et la rend encore plus ridicule.
Vous avez assurément raison, ajouta Euphorbe : mais il faut être sobre et réservé
dans l'usage de ce sublime ironique. C'est une exception qui confirme la
régle
règle
générale, en vertu de laquelle le sublime et le grand sont bannis des petits
sujets.
Puisque vous parlez du sublime, répliqua Timagène, je ne sais si je m'en suis formé une idée juste. C'est, selon moi, une pensée, un sentiment,
une image qui m'élève au-dessus de moi-même, et qui m'avertit de ma propre grandeur.
Ainsi, lorsqu'Horace dit de l'homme juste, si l'univers s'écrouloit,
ses débris le frapperoient, sans l'étonner
Si fractus
illabatur orbis,
Impavidum ferient ruinæ. Hor. l. 3. od.
3.
L'appel à la note manque dans l'original et a été
suppléé., je sors, pour ainsi dire, de moi-même ; je me place à côté de ce
juste, et je deviens le rival de sa fermeté.
Je
voudrois
voudrais
ajouter à votre définition, reprit Euphorbe, que cette pensée, ce sentiment,
cette image doivent être revêtus de l'expression qui leur convient. Le verbiage est ennemi
du sublime. Plus l'expression est simple et serrée, moins elle obscurcit son éclat. Un
poëte
poète
latin moderne a imité cette belle pensée d'Horace, ou plutôt il l'a paraphrasée.
Voici comme il s'exprime.
Seu pelagus super,
Seu fulminantis porta tonet poli,
Stabis, repentinamque mundi immobilis excipies ruinam.
Au
milieu des flots irrités, sous les coups de la foudre, vous serez immobile, et la
chute subite du monde entier ne vous ébranlera pas. Sarbievius, l.
2. od. 16.
L'appel à la note manque dans l'original
et a été suppléé.
Lequel de ces deux morceaux, je vous prie, a l'avantage sur
l'autre ?
Je vois dans le dernier, répondit Timagène, bien de la pompe et des prétentions ;
mais je vous avoue qu'il me frappe moins que le premier ; peut-être parce qu'on
s'efforce trop de le faire. Il y a bien moins d'appareil dans ce mot de l'
Ecriture Sainte
Écriture sainte
, cité par Longin lui-même, fiat lux, et facta est
lux
Gen. c. 1. v. 3. ; Dieu dit, que la
lumiere
lumière
soit faite, et la
lumiere
lumière
fut faite : dans cet autre, mare vidit et
fugit
Psal. 113. v. 3. ; la mer vit le Seigneur,
et prit la fuite ; enfin, dans cette courte phrase, qui nous donne une si grande idée
des conquêtes d'Alexandre1. Machab. c. 1. v. 5., siluit terra in conspectu ejus
; la terre se tut en sa
présence. Cependant, quoi de plus magnifique et de plus sublime que tout cela ?
Telle est l'idée qu'ont eu du sublime, poursuivit l'Euphorbe, tous les gens de goût, et
en particulier
la Bruyere
La Bruyère
Caract.
Charactères,
ch. 1.. Le sublime, dit-il, ne peint que la vérité, mais en un sujet noble
:
;
il la peint toute
entiere
entière
, dans sa cause et dans son effet ; il est l'expression, ou l'image la
plus digne de cette vérité.La ponctuation en cet endroit a été
modifiée, dans le texte de lecture, dans un souci de clarté par rapport à la structure
tripartite de la phrase. Les esprits médiocres ne trouvent point l'unique
expression, et usent de synonymes. Les jeunes gens sont éblouis de l'éclat de
l'antithèse, et s'en servent. Les esprits justes, et qui aiment à faire des images qui
soient précises, donnent naturellement dans la comparaison et la métaphore. Les esprits
vifs, pleins de feu, et qu'une vaste imagination emporte hors des
régles
règles
&
et
de la justesse, ne peuvent s'assouvir de l'hyperbole. Pour le sublime, il n'y
a, même entre les grands génies, que les plus élevés qui en soient capables.
J'ai pourtant une petite difficulté à vous faire ici, répliqua Timagène. Tout le monde
connoît
connaît
et admire le sublime endroit où Racine a traduit ce verset d'un
Pseaume
Psaume
Ps. 36., Vidi impium
superexaltatum et elevatum sicut cedros Libani ; et transivi, et ecce non
erat ;
Esther, Sc. dern.J'ai vu l'impie adoré sur la terre.
Pareil au cèdre il cachoit dans les cieux
Son front audacieux :
Il sembloit à son gré gouverner le tonnerre ;
Fouloit aux pieds ses ennemis vaincus,
Je n'ai fait que passer, il n'étoit déjà plus.
Voilà, ce me semble, bien de la magnificence, et même de l'abondance, dans l'expression.
Ces vers n'en sont cependant pas moins sublimes.
C'est-à-dire, le dernier, repartit Euphorbe. Ceux qui le
précédent
précèdent
, ne sont qu'une
espece
espèce
de préparation faite pour nous amener à cette pensée. Je
n'ai fait que passer, il n'étoit déjà plus
, dans qui réside principalement le
sublime. Aussi voyez-vous qu'elle est renfermée dans un seul vers : et s'il
étoit
était
permis d'enchérir sur un aussi grand
poëte
poète
, j'
ajouterois
ajouterais
, qu'il
pouvoit
pouvait
peut-être lui donner plus de force, en resserrant encore son expression, et en
disant simplement, je passe, il n'
étoit
était
plus.
Mais enfin, interrompit Timagène, n'est-il donc jamais permis d'employer dans le sublime,
la richesse du
stile
style
? L'exorde de l'oraison funèbre du vicomte de Turenne, semble prouver le
contraire. Rien de plus sublime et de plus orné en
même-temps
même temps
que ce morceau :
Fléchier,
Or. Fun
Oraisons funèbres
.
Au premier bruit de ce funeste accident, toutes les villes de Judée
furent émues ; des ruisseaux de larmes coulèrent des yeux de tous ses
habitants ; ils furent quelque temps saisis, muets, immobiles : un effort de
douleur rompant enfin ce long et morne silence, d'une voix entrecoupée de sanglots, que
formaient dans leurs cœurs la tristesse, la pitié, la crainte, ils s'écrierent :
comment est mort cet homme puissant, qui sauvait le peuple d'Israël ? A ces cris,
Jérusalem redoubla ses pleurs ; les voûtes du temple s'ébranlèrent ; le
Jourdain se troubla, et tous ses rivages retentirent du son de ces lugubres
paroles : comment est mort cet homme puissant, qui sauvoit le peuple
d'Israël ?
Peut-on dire que ce coloris brillant soit ici déplacé ?
Je n'ai point prétendu, reprit Euphorbe, que les ornements du
stile
style
fussent incompatibles avec toute sorte de sublime ; mais seulement qu'il ne
faut pas les y admettre toujours, et sans réserve. Permettez moi d'expliquer ma pensée.
L'objet du sublime doit être grand et noble. Rappellez-vous ce que
nous avons dit, il n'y a qu'un moment, de la bassesse, que nous avons partagée en deux
classes. Nous distinguons aussi, dans les objets, deux
especes
espèces
de grandeur ; l'une qui leur est naturelle, et qui fait impression sur tout
homme, parce qu'il est homme ; l'autre qui est fondée sur une opinion assez générale,
&
et
qui peut changer avec les temps
&
et
les lieux. Dans le premier rang, je place tout ce qui a rapport à Dieu, aux
vertus,
sur-tout
surtout
à la générosité, à la clémence, aux mépris de la mort, à l'amour de la patrie,
&c
etc
. Lorsque le sublime s'
éléve
élève
sur de pareils fondements, je suis convaincu qu'il doit négliger tous les
ornemens
ornements
de l'art ; ou du moins en employer si peu, qu'ils ne puissent lui nuire.
Ainsi, dans ces quatre beaux vers de l'
Athalie
Athalie
,
Celui qui met un frein à la fureur des flots,
Peut aussi des méchants arrêter les complots :
Soumis avec respect à sa volonté sainte,
Je crains Dieu, cher Abner, et n'ai point d'autre crainte,
la métaphore qui s'y rencontre n'a point assez d'éclat, pour nous empêcher d'admirer
l'inébranlable fermeté de Joad, établie sur sa confiance en Dieu.
Partout ailleurs, vous verrez une expression simple et sans figures, comme dans ce vers de
Corneille, en parlant de Pompée ;
Il s'avance au trépas,
Avec le même front qu'il donnoit des états.
La seconde classe renferme des objets que la plupart des hommes admirent par une
espece
espèce
de convention. Tels sont le trône et tout ce qui lui appartient, les combats,
certaines passions à qui on a donné des titres de noblesse, comme l'ambition, la
vengeance, la fierté, certains crimes même, tels que les conjurations,
&c
etc
. Comme il n'y a dans tout cela qu'une grandeur empruntée, pour la porter au
sublime, on peut, on doit même implorer le secours du
stile
style
. L'exemple que vous avez cité de Racine me servira de preuve. Ces vers,
J'ai vu l'impie adoré sur la terre ;
Pareil au cédre, il portoit dans les cieux
Son front audacieux ;
Il sembloit à son gré gouverner le tonnerre,
Fouloit aux pieds ses ennemis vaincus,
n'expriment que cette pensée, vraie
&
et
belle, mais simple, j'ai vu l'impie fier
&
et
insolent dans la prospérité. Pour l'élever, il a donc fallu l'orner de
tout ce que la diction a de plus riche. C'est ce qui m'a fait dire, que le sublime de ce
morceau
résidoit
résidait
dans le dernier vers. En effet, la promptitude avec laquelle s'évanouit ce
colosse, par le souffle de Dieu, voilà ce qui attire mon admiration ; et il suffit de
me le dire, sans aucune recherche dans les termes. Appliquons la même
régle
règle
à l'exorde de M. Flechier. La désolation qu'entraîne la mort d'un grand homme
est un objet triste et intéressant, mais qui n'est point sublime.
Delà
De là
cette
espece
espèce
de décoration, dont l'orateur l'a revêtu, pour le rendre digne de notre
admiration. J'
espere
espère
que vous me pardonnerez maintenant ma façon de penser.
Vous pardonner, lorsque vous m'éclairez, répliqua Timagène ! eh bien, je
m'appliquerai donc ce dernier vers de
Cinna
Cinna
;
Auguste à tout appris, & veut tout pardonner.
Vous voyez que je plaisante dans le genre sublime. Car si quelque sentiment le fût
jamais, c'est celui-ci.Vérifier fût. En l'examinant, selon les
régles
règles
que nous venons de détailler, j'y trouve une expression naturelle
&
et
concise : et la pensée fait naître en moi cette
admiration tendre, qui n'est
dûe
due
qu'à l'
héroisme
héroïsme
porté à son comble.
Delà
De là
il est aisé de conclure que cette admiration est la vraie différence entre le
sublime
&
et
le simple pathétique, qui fait couler des pleurs, sans élever l'
ame
âme
au-dessus d'elle-même.
Elle ne distingue pas moins le sublime, ajouta Euphorbe, d'avec la pensée noble. Celle-ci
a de la grandeur ; mais elle ne produit point cette surprise ravissante, qui ne peut
venir que du premier. Lorsque Velleius PaterculusMarcus Velleius
Paterculus (~19 av. - ~31 ap. J.-C.) est l'auteur d'une Histoire
Romaine (Historiarum Libri Duo). dit, en parlant de
Ciceron : Nous devons à ce grand orateur, de n'avoir point cédé
la gloire du génie à ceux que nos armes avaient vaincus
; Vir ingenio maximus, qui effecit ne quorum arma
viceramus, eorum ingenio vinteremur.
cette pensée assurément a de la
noblesse : elle est digne du sujet qu'on veut louer ; mais elle n'a rien qui
étonne l'esprit. Ce n'est donc qu'une pensée grande
&
et
ingénieuse.
Si les pensées nobles et grandes, comme vous l'avez remarqué, continua Timagène, ne sont point admises dans les sujets simples
&
et
badins, à plus forte raison le sublime doit en être banni, à moins qu'il ne soit
ironique
&
et
burlesque. Je
croirois
croirais
même que le
stile
style
grave
&
et
modéré de l'histoire,
devroit
devrait
l'exclure aussi de
cet
cette
espece
espèce
de récit.
Je ne suis pas tout à fait de votre avis, reprit Euphorbe. Nous avons dit, il y a
quelques jours, que l'historien doit accommoder son
stile
style
au sujet qu'il traite. Si l'on exige que celui de l'histoire soit simple, c'est
dans les sujets ordinaires
&
et
communs. Lorsque la
matiere
matière
l'exige, il doit s'échauffer
&
et
s'élever : il peut même atteindre le sublime. Ces circonstances sont rares,
j'en conviens ; mais elles ne sont pas sans exemple. L'écriture sainteDesit:
incohérence.
pourroit
pourrait
seule nous en fournir assez : mais comme ce livre divin est plus fait pour
régler notre conduite
&
et
nos mœurs, que nos écrits, cherchons-en ailleurs. M. Bossuet, dans son
histoire universelle
Histoire universelle
, est presque sublime partout ; témoin, cette phrase
Premiere épo.
Première époque,
p. 9. : La terre commence à se remplir, et
les crimes s'augmentent. Cain, le premier enfant d'Adam et d'Eve,
fait voir au monde naissant la premiere action tragique ; et la vertu commence dès
lors à être persécutée par le vice
: Et cette autre, où parlant d'Auguste
&
et
de ses victoires, il dit
Neuvième épo.
Neuvième époque,
p. 101.
;
:
La Pannonie le reconnoît ; la Germanie le redoute ; et le
Véser reçoit ses loix. Victorieux par mer et par terre, il ferme le temple de Janus.
Tout l'univers vit en paix sous sa puissance, et Jésus Christ vient au monde.
N'est-ce pas atteindre le sublime, que de dire avec Tacite, en racontant ce qui suivit la
mort de Germanicus Funus sine imaginibus et
pompa, per laudes et memoriam virtutum ejus celebre fuit.
Ann.
Annales,
l. 2. ; ses funérailles n'eurent point
d'autre appareil ni d'autre pompe que sa gloire et le souvenir de ses
vertus
? Y a-t-il moins de grandeur dans l'endroit où l'abbé de Vertot décrit
la retraite de la régente de Portugal,
mere
mère
d'Alphonse VI ? Désabusée alors, dit-il, des vaines
grandeurs de la terre, elle ne parut plus occupée que de celles que les hommes ne
peuvent ôter..... Princesse d'un génie supérieur,
&
et
qui eut les vertus de l'un
&
et
l'autre sexe. Elle fit éclater sur le trône toutes les grandes qualités d'une
souveraine ; et il sembla qu'elle eut oublié dans sa retraite, qu'elle eût jamais
régné
Révol. de Portugal
Révolution de Portugal
, pag. 350.. Je
pourrois
pourrais
vous rapporter cent autres traits du même genre.La
signalisation graphique des citations et des notes est quelque peu incohérente, dans ce
paragraphe de l'édition originale, et a été régularisée ici.
Il y en a un dans la vie de
S.
Saint
Basile, ajouta Timagène, qui m'a toujours semblé admirable. Ce grand homme
interrogé sur sa foi par le préfet Modeste, lui parla avec une fermeté digne de sa
religion et de son
caractere
caractère
.
Je n'ai jamais trouvé personne, dit
le préfet étonné, qui m'ait répondu de la sorte : peut-être
aussi, répondit le saint prélat, n'avez-vous jamais rencontré
un évéque
. Si ce n'est pas là du sublime, je me trompe fort.
Il est aisé à
reconnoître
reconnaître
, repartit Euphorbe :
&
et
quand le dialogue l'accompagne, comme dans l'exemple que vous apportez, il lui
donne encore plus de saillie. En effet, il y a certains traits
frappans
frappants
où l'auteur d'un récit doit laisser parler ses acteurs, pour conserver aux
pensées toute leur force et leur grâce ; ou du moins rapporter leur entretien,
&
et
même leurs expressions, par le moyen du dialogue indirect.
Je dois à Horace, reprit Timagène, de m'avoir fait
connoître
connaître
la différence du dialogue direct, et de l'indirect. La
satyre
satire
troisieme
troisième
du second livre est un dialogue direct entre le
poëte
poète
&
et
le philosophe Damasippe ; et celui-ci emploie l'indirect, pour raconter la
fable du bœuf et de la grenouille.Lib. 2. Sat. 3. v. 313. Au
reste, ce dernier me
paroît
paraît
plus difficile que l'autre, à cause de la répétition éternelle des liaisons, qui
embarasse souvent l'écrivain,
&
et
fatigue le lecteur. C'est sans doute par cette raison, qu'Horace les a
supprimées, ainsi que
la Fontaine
La Fontaine
qui a imité de lui cette fable.
Si le dernier est plus difficile, poursuivit Euphorbe, c'est l'affaire de l'
Auteur
auteur
: mais il est certain qu'il a quelque chose de plus naturel,
&
et
qu'il est plus commun que le premier,
sur-tout
surtout
dans les récits sérieux. Un seul exemple, que nous fournit
Quinte-Curse
Quinte-Curce
,Il s'agit de Quinte-Curce (Quintus Curtius Rufus), historien
romain ayant vécu sans doute au premier siècle après J.-C. peut nous faire
concevoir quel ornement il leur prête. Abdalonyme, tiré par Alexandre du sein de la
misere
misère
, pour monter sur le trône de Sidon,
paroît
paraît
devant ce conquérant. L'historien
pouvoit
pouvait
dire, que ce prince lui ayant demandé comment il
avoit
avait
supporté son infortune, le nouveau roi lui
avoit
avait
témoigné qu'il
craignoit
craignait
bien plus de plier sous le poids de la couronne, que sous celui de la pauvreté.
Ce fait, qui
paroît
paraît
ainsi dans sa simplicité, a quelque chose de bien plus piquant lorsqu'on nous
rapporte l'entretien de ces deux personnages,
&
et
que nous assistons, pour ainsi dire, à leur conversationQ.
Curt. l. 4.. Libet scire, inquit Alexander, inopiam qua
patientia tuleris. Tum ille ; utinam, inquit, eodem animo regnum pati possim !
hæ manus suffecere desiderio meo. Nihil habenti, nihil defuit.
M. Rollin traduit
ainsi ce dialogue.
Hist. Anc.
Histoire ancienne,
l. 14. sec. 6.
Je
voudrois
voudrais
bien savoir, dit Alexandre, avec quelle patience tu as porté ta
misere
misère
. Plaise aux Dieux, répondit-il, que je puisse porter cette couronne avec
autant de force. Ces bras ont fourni à tous mes désirs,
&
et
tandis que je n'ai rien eu, rien ne m'a manqué.
Si le dialogue indirect réussit bien dans les sujets sérieux,
répliqua Timagène, vous m'accorderez aussi que le direct a des
graces
grâces
infinies,
sur-tout
surtout
dans un genre d'écrire plus gai
&
et
plus léger. Pour moi, je ne vois rien de plus délicat, que le dialogue d'Acanthe
&
et
de Pégase. L'
Auteur
auteur
, au lieu de détailler gravement les vertus et les victoires de Louis-le-Grand,
et de célébrer la rapidité de ses conquêtes, saisit l'occasion d'un voyage qu'il
devoit
devait
faire avec le roi :
&
et
, dans la nécessité où il
étoit
était
de trouver un cheval, il imagine un entretien entre lui
&
et
le coursier des muses. Cette fiction ingénieuse répand dans l'éloge qu'il fait,
tout le sel et tout l'agrément imaginable. J'ai transcrit ces jours-ci sur mes tablettes,
ce joli morceau.
ACANTHE.
A mon secours, Pégase, en ce besoin extrême :
Il me manque un cheval ; il faut suivre le Roi.
PEGASE.
Le suivre ! Et quel moyen ? Je ne le puis moi-même,
[p.291]Non plus que ton bidet, ou ton grand palefroi.
ACANTHE.
Tu suivis toutefois le diligent Achille
Dans le cours glorieux de ses hardis exploits.
PEGASE.
D'accord : mais en dix ans il prenoit une ville :
En prit-il jamais quatre en la moitié d'un mois ?
ACANTHE.
Et le fameux César, qui presque sans combattre,
Venoit, voyoit, vainquoit, ne le suivois-tu pas ?
PEGASE.
Jamais il n'eut quitté la belle Cléopâtre,
Pour venir prendre Dole un jour de Mardisgras.
ACANTHE.
Mais Alexandre enfin, vite comme un tonerre,
Toujours à ses côtés te voyoit galopper.
PEGASE.
Je le perdais souvent : il alloit tant que terre :
Mais quand il s'enivroit, on pouvoit l'attraper.
ACANTHE.
Je t'entends : rien ne suit un Roi que rien n'arrête,
Ni plaisirs, ni douleurs, ni brouillards, ni beaux jours ;
Ni calme decevant, ni terrible tempête ;
Ni le froid des hivers, ni le feu des amours.
Comme toi je l'admire, et ne m'en saurois taire :
Sur un si grand sujet on ne peut achever.
Mais, adieu ; pour ce coup tu n'es pas mon affaire ;
Je veux un vrai cheval, que je puisse crever.
Desit: pagination 291.
Vous citez là un homme, reprit Euphorbe, que j'
appellerois
appellerais
volontiers le héros du récit. Le moindre mérite de Pellisson-Fontanier est
d'avoir donné une histoire de l'Académie, parfaitement bien écrite. La délicatesse de son
esprit et la bonté de son cœur, le dédommageaient abondamment de la difformité de ses traits.Paul Pellisson-Fontanier, dit Paul Pellisson
(1624-1693), est un homme de lettres et historien français. Mais puisque vous
faites registre des dialogues ingénieux, vous pourriez joindre au premier, celui où Patrix
raconte un songe qu'il prétend avoir eu. Il est indirect ; et néanmoins vous avouerez
qu'il peut servir de
modele
modèle
dans la narration badine. Le voici :
Je rêvois cette nuit, que de mal consumé,
Côte à côte d'un pauvre on m'avoit inhumé,
Et que n'en pouvant pas souffrir le voisinage,
En mort de qualité je lui tins ce langage.
Retire toi, coquin ; va pourrir loin d'ici :
Il ne t'appartient pas de m'approcher ainsi,
Coquin ! me répond-il d'une arrogance extrême,
Va chercher tes coquins ailleurs ; coquin toi-même.
Ici tous sont égaux : je ne te dois plus rien :
Je suis sur mon fumier comme toi sur le tien.Le poème est
attribué à Pierre Patrix (1585-1672) ; voir Poètes français,
ou choix de poésies des auteurs du second et du troisième ordre, des XVe, XVIe,
XVIIe, et XVIIIe siècles, avec des notices sur chacun de ces auteurs, éd. par
Jean Baptiste Joseph de Champagnac, Mónard et Desenne, fils, 1825, p.
275.
Desit: plus d'infos.
Voilà une leçon, dit alors Timagène, plus capable peut-être de faire impression sur les
grands, que le meilleur sermon. Cette pensée, que la mort égale les conditions,
avoit
avait
été
repétée
répétée
cent fois : mais le tour de cette conversation lui rend un air de jeunesse,
qu'elle
avoit
avait
perdu depuis
long-temps
longtemps
. Vous plaisanterez tant qu'il vous plaira ; je veux
donner place à cette petite
piece
pièce
, à la suite de celle que je viens de vous rapporter.
Eh-bien ! répliqua Euphorbe, pour le faire plus aisément, rendons-nous dans mon
cabinet. Vous y trouverez tout ce qui vous sera nécessaire pour cela.