TROISIÈME ENTRETIEN.
Ornemens
Ornements
du
Récit
récit
.
Sur le soir, Euphorbe
&
et
Timagene,
Timagène
allerent
allèrent
se promener le long d'une terrasse qui
dominoit
dominait
sur une vaste prairie entrecoupée de quelques ruisseaux. Elle
étoit
était
partagée en
deux,
deux
par une grande route. Dans le lointain des collines
médiocrement élevées,
&
et
parsemées de plusieurs villages,
bornoient
bornaient
agréablement la vue.
A
À
droite
&
et
à gauche, l'
œuil
œil
découvroit
découvrait
des jardins
&
et
des parterres émaillés de fleurs. Charmé de ce spectacle,
Timagene
Timagène
se retourne vers son ami,
&
et
d'un air animé ; en vérité, lui dit-il, attribuer au hasard cette superbe
ordonnance, c'est bien parler
&
et
raisonner soi-même au hasard.
Dites plutôt, reprit Euphorbe, c'est parler le langage des passions
&
et
du vice. Mais permettez-moi ici une autre réflexion. Ces mêmes objets, qui nous
enchantent, dans quelques mois d'ici, seront aussi tristes
&
et
aussi hideux qu'ils sont
charmans
charmants
aujourd'hui. Vous le voyez ; tout dans la nature a besoin d'un peu
d'ornement pour mériter l'attention des gens de goût,
&
et
les ouvrages d'esprit plus que toute autre chose.
Vous avez raison, lui dit
Timagene
Timagène
: La
bergere
bergère
En un beau jour de fête
De superbes rubis ne charge point sa tête ;
Mais elle
Cueille en un champ voisin les plus beaux ornements ;
Boil. art. Poët. l. 2
Boileau, Art poétique, chant 2
.
Ce passage de l'Art
poétique compare le genre poétique de l'idylle à une bergère :
«
Telle qu’une Bergère, au plus beau jour de fête, / De superbes rubis ne charge point
sa tête, /
&
et
sans mêler à l’or l’éclat des diamants, / Cueille en un champ voisin ses
plus beaux ornements : / Telle, aimable en son air, mais humble dans son style,
/ Doit éclater sans pompe une élégante idylle. / Son tour simple & naïf n’a rien
de fastueux, /
&
et
n’aime point l’orgueil d’un vers présomptueux. » (Boileau, Art poétique, 1674, (voir bibliographie), chant II, lignes
1-8.).
&
et
ce négligé champêtre dans lequel elle se montre, ne laisse pas d'ajouter à ses
graces
grâces
naturelles. Que voulez-vous conclure
de-là
de là
?
Que le récit, répondit Euphorbe, ne peut se passer d'une certaine parure, qui fait son
plus grand prix. Lorsque j'interroge mon jardinier sur une aventure du village ;
c'est un homme de bon sens ; il m'expose fort bien le fait ; mais le ton
maussade, qui accompagne tout ce qu'il dit, les répétitions éternelles des mêmes termes
&
et
des mêmes phrases, sont si fatiguantes, que j'
aimerois
aimerais
mieux avoir toujours ignoré l'histoire qu'il me conte, que d'en avoir acheté la
connoissance
connaissance
, au prix de l'ennui qu'il me cause.
Cependant, repartit Timagène, j'entends dire tous les jours, que la nature est belle dans
sa simplicité : qu'elle l'emporte infiniment sur l'art. Cette maxime a même
l'autorité d'une loi dans les belles-lettres
&
et
dans les arts.Timagène renvoie-t-il de manière générale à
l'imitation de la belle nature comme principe des arts, principe au centre de l'essai de
l'Abbé Batteux sur Les Beaux-arts réduits à un même principe de
1746, où bien à un principe plus spécifique ?
Vous dites fort bien dans sa simplicité, interrompit Euphorbe ; mais non pas dans sa
négligence
&
et
sa
grossiéreté
grossièreté
. La même Nature dont la main conduit dans la prairie un ruisseau plus
transparent que le cristal, dépose dans le lac de Camarine, ce
limon fétide, ces eaux bourbeuses qui portent l'infection dans tous les lieux d'alentour.
L'art est vaincu par la nature, lorsqu'il est en guerre avec elle ; lorsqu'il veut
l'éclipser,
&
et
prendre sa place. C'est un rebelle alors, qui s'oublie. Né pour la servir, il ne
doit point usurper ses droits. L'harmonie est parfaite, lorsqu'il ne cherche qu'à relever
son prix. L'art ne réussit jamais mieux, que quand il ne se laisse point appercevoir.Une instance du principe 'ars est celare artem' formulé par Ovide dans son
Ars Amatoria. Semblable à ces ressorts, qui font mouvoir
les machines d'un grand théâtre, il est l'auteur de tout le jeu, dans le temps où il se
cache avec le plus de soin. Le détail des
ornemens
ornements
qu'exige le récit,
achevera
achèvera
de vous convaincre, qu'ils lui sont nécessaires. Un des premiers
&
et
des plus indispensables, à mon avis, c'est la variété.
Je me souviens, reprit Timagène, de ce qu'à dit, je ne
sçais
sais
quel auteur,
L'ennui, naquit un jour de l'uniformité.La
phrase se trouve chez Antoine Houdar de la Motte :
« C’est un grand
agrément que la diversité. / Nous sommes bien comme nous sommes. / Donnez le même
esprit aux hommes, / Vous ôtez tout le sel de la société. / L’ennui naquit un jour
de l’uniformité. »
Voir La Motte, « Les Amis trop d’accord »,
dans : Fables nouvelles, 1719 (voir bibliographie), livre IV, fable
15, p. 260-262, 262. Ces cinq vers forment la morale finale de la fable. Le vers
cité par Bérardier l'est aussi par Marmontel, dans son « Avertissement »
aux Éléments de littérature, 1787 (voir bibliographie), p.
33.
C'est elle qui vient enfin à bout de nous détacher des plus belles choses. Le
Monarque
monarque
se dégoûte de la magnificence
&
et
des plaisirs qui
assiégent
assiègent
tous les jours son trône : le
Financier
financier
cesse d'admirer l'or qui l'environne, parce qu'il en
est trop souvent ébloui : dans ces objets, comme dans mille autres, le terme de la
nouveauté est le terme du plaisir. Cette
espece
espèce
de contagion, s'étend jusqu'aux chef-d'œuvres de l'art. L'habitude nous rend
insensibles à ceux qui sont sans cesse sous nos
ieux
yeux
, tandis qu'ils font l'admiration de l'étranger, que notre indifférence irrite
autant qu'elle l'étonne. Cette inconstance me
paroît
paraît
prouver clairement que nous sommes faits pour chercher toujours le vrai bien,
sans jamais le trouver sur la terre.
Nous tombons insensiblement dans la morale, mon cher, interrompit Euphorbe,
&
et
nous oublions notre objet. Quoi qu'il en soit de cet amour du changement, un
auteur doit s'y conformer, s'il veut réussir,
&
et
jetter
jeter
de la variété, soit dans les faits qu'il rapporte, soit dans le
stile
style
qu'il emploie.
Dans les faits, repartit vivement Timagène ? Comment l'entendez-vous? Lorsque
j'écris, ne suis-je pas obligé de rapporter les
événemens
événements
tels qu'ils se sont passés ?
&
et
s'ils ont trop de ressemblance, suis-je le maître de les dénaturer, pour les
rendre plus variés ?
Non, sans doute, répondit Euphorbe ; Mais je pense, que
sans cela, on peut encore y répandre de la variété. La nature ne suit-elle pas des
régles
règles
inviolables dans la production des plantes ? Rien n'est plus varié
néanmoins, que le spectacle qu'elle nous offre dans une riche campagne. Distinguez avec
moi deux sortes de récits ; l'un, fruit de l'imagination, est une pure fiction, ou
s'unit avec elle ; l'autre, n'a de fondement que l'
austere
austère
vérité. Dans la
premiere
première
espece
espèce
, l'
Auteur
auteur
assurément est inexcusable, s'il donne trop de conformité à des
événemens
événements
qu'il est le maître d'inventer à son gré, en tout, ou du moins en partie. C'est
à lui à rassembler des matériaux qui ne présentent pas toujours le même objet à la vue.
Virgile est un modèle achevé dans ce genre. Quoi de plus uniforme en soi, que les voyages d'
Ænée
Énée
, depuis les côtes de la Troade, jusqu'aux rivages de Carthage. Le
poëte
poète
cependant fait donner à ce détail des grâces, par les épisodes qu'il y répand.
C'est une riche broderie, sous laquelle il déguise une étoffe commune. Dans la Thrace, l'
avanture
aventure
de Polydore nous cause une religieuse horreur : dans les
isles
îles
des Strophades, les Harpies forment une scène plus amusante : celle d'Andromaque, qui lui succède, fait renaître ces
sentimens
sentiments
de tendresse
&
et
de compassion, qui ont tant de charmes : enfin la terrible description du
mont Etna
&
et
de
Polyphême
Polyphème
qui l'habite, trouve encore un ornment dans la triste situation d'Achemenides,
abandonné sur ces rochers,
&
et
dans le discours pathétique qu'il adresse aux Troyens.
Puisque vous faites tant valoir le troisième livre de l'
Ænéide
Énéide
, ajouta Timagène, en riant, je me déclare moi, pour le
cinquieme
cinquième
;
&
et
je prétends que le
poëte
poète
n'y montre pas moins d'adresse
&
et
de goût, que dans le vôtre. Des voyages présentent naturellement des objets qui
se succèdent, sans se ressembler ; mais dans des jeux
&
et
des combats, il en est tout autrement. Un vainqueur l'emporte sur un, ou
plusieurs vaincus. Voilà en deux mots tout leur succès. L'imagination riche
&
et
féconde de notre
poëte
poète
a fait
disparoître
disparaître
cette monotonie. Dans le combat des vaisseaux, la victoire échappe à Gyas, par
la timide précaution de son pilote
&
et
par son propre emportement ; dans celui de la course, l'adresse de Nisus
fait passer à Euryale, son ami, le prix qu'un accident imprévu
lui
avoit
avait
enlevé à lui-même,
&
et
qu'il
sembloit
semblait
d'abord qu'on ne
pouvoit
pouvait
lui disputer. Le prix du pugilat
paroît
paraît
assuré au Troyen Darès ; il triomphe déjà de ne point trouver d'adversaire,
qui ose se mesurer avec lui ; mais sa présomption est
sévérement
sévèrement
punie par le vieillard Entelle. Enfin l'exercice de la
fléche
flèche
a une issue encore plus
singuliere
singulière
: tous les combattants y ont part à la victoire : le premier, perce
l'extrémité de l'arbre ; le second, coupe la corde ;
&
et
le
troiseme
troisième
, atteint l'oiseau dans les airs. Aceste, qui ne peut plus prétendre au prix,
mérite d'être couronné à cause du prodige dont les Dieux récompensent ses efforts. Ces
différens
différents
spectacles sont terminés par un autre moins pénible
&
et
plus amusant. C'est le magnifique carrousel de la jeune noblesse de Troye.
Avouez que cela vaut bien vos Harpies
&
et
votre
Polyphême
Polyphème
.
J'avouerai tout ce qu'il vous plaira, répliqua Euphorbe,
&
et
bien loin de contester avec vous là-dessus, j'ajouterai à vos réflexions, que ce
livre avec celui qui le
précéde
précède
, renferment tout ce qui ne nous enchante que trop
sur sur
sur
nos théâtres. Dans le
quatrieme
quatrième
, j'assiste à une action tragique, qui m'arrache des larmes ; le
cinquieme
cinquième
, est une
espece
espèce
de comédie agréablement diversifiée ;
&
et
le
sixieme
sixième
, par la magnificence de ses machines, repond assez bien à nos Opéra.Le pluriel du mot opéra pouvait s'écrire, au
dix-huitième siècle, avec ou sans -s final. Comparez maintenant cette riche
composition, avec celle du versificateur de Cordoue. Son poème, si vous en exceptez le
huitième
&
et
le neuvième livre, n'est qu'un tissu de guerres continuelles, pompeusement
racontées.Il est question ici, sans doute, de la Pharsale de Lucain, poète romain né à Cordoue. Mais sans nous arrêter
plus longtemps à un principe, qui n'est point contesté par ceux qui ont du goût, il faut
répondre à votre difficulté, sur les faits historiques, dont la vérité est le seul
fondement. Ici, je l'avoue, il est moins facile de prévenir les dégoûts d'un lecteur, qui
veut toujours qu'on l'amuse, sans tenir aucun compte des obstacles qu'il faut surmonter
pour y parvenir. Privé du secours de l'invention, l'écrivain ne peut rejetter ce qui lui
déplaît,
&
et
le remplacer par des objets plus proprès à réveiller l'attention. Il faut donc
qu'il y supplée par son adresse. L'abbé de
S. Real
Saint-Réal
, dans l'histoire de la conjuration contre Venise,Il s'agit
de César Vichard de Saint-Réal (1639-1693), historiographe de la Savoie. Il est l'auteur
d'une Conjuration des Espagnols contre la République de Venise en
l'Année M. DC. XVIII, 1674 (voir bibliographie). entremêle habilement dans le cours des intrigues du marquis de Bedmar, tantôt une courte description de la guerre
que les Vénitiens
soutenoient
soutenaient
contre la Maison d'Autriche, tantôt le
caractere
caractère
du fameux capitaine Jacques Pierre,
&
et
l'artifice dont il se servit, pour obtenir de l'emploi sur la flotte de
Venise ; plus bas, l'épisode de SpinosaDesit: identifier., envoyé par le
viceroi de Naples, pour observer la conduite du capitaine. Ces
especes
espèces
d'
intermédes
intermèdes
soulagent l'attention du lecteur, qui n'est pas toujours appliquée au même
objet. Un autre moyen, qui ne réussit pas moins, est de passer rapidement sur les faits
qui ont trop de ressemblance, de n'en dire que ce qu'il faut pout les faire
connoître
connaître
,
&
et
de s'étendre davantage sur ceux qui forment des tableaux plus variés. C'est ce
qu'a pratiqué avec succès l'abbé de Vertot dans son excellent ouvrage des Révolutions
Romaines.Il s'agit de l'abbé René Aubert de Vertot (1655-1735),
historien français. Il est l'auteur d'une Histoire des révolutions
arrivées dans le gouvernement de la République romaine, 1727 (voir bibliographie). Les guerres
continuelles de la République avec les peuples voisins de son territoire,
&
et
par-là même jaloux de sa puissance, ne lui
offroient
offraient
que des
événemens
événements
à-peu-près
à peu près
les mêmes ; mais les
dissentions
dissensions
du peuple
&
et
des Patriciens fomentées par les Tribuns,
fournissoient
fournissaient
des scènes toujours nouvelles
&
et
toujours différentes. Il s'arrête donc avec
complaisance à celles-ci,
&
et
se contente souvent d'indiquer les
premieres
premières
. Je ne vous citerai que deux exemples. L'an 322 de Rome, T. Quintius fut nommé
dictateur pour faire la guerre aux Eques
&
et
aux Volsques, qui
avoient
avaient
défait les deux consuls. Voici tout ce que dit l'
Auteur
auteur
de cette expédition :
Révol. Rom. L. 6
Révolutions romaines, livre 6
.
René Aubert de Vertot, Histoire
des révolutions arrivées dans le gouvernement de la République romaine, 1727
(voir bibliographie), tome second,
livre VI, p. 146-152, ici p. 152.
II sortit bientôt de Rome, marcha aux ennemis, les défit dans une
bataille sanglante, prit leur camp,
&
et
ramena son armée victorieuse à Rome.
&
et
plus bas, sous l'année 327
Ibid.
Aubert de Vertot, Histoire des révolutions...,
1727 (voir bibliographie), p.
154., il décrit ainsi la victoire d'un autre dictateur sur les
Véïens
Véiens
. Mamercus Emilius, en moins de seize jours, tailla en
pieces une partie de l'armée des ennemis, fit un grand nombre de prisonniers, qui
servirent de récompense aux soldats, ou qui furent vendus comme des esclaves au profit
du trésor public. Le Dictateur, après un triomphe solemnel, se démit de la
Dictature.
Ces derniers mots, reprit Timagene, me font souvenir de l'ennui que m'ont causé
quelquefois, en lisant l'
histoire
Histoire
Romaine
romaine
du
P.
Père
Catrou,Il s'agit de François Catrou (1659-1737), jésuite,
historien et traducteur, auteur d'une Histoire romaine depuis la
fondation de Rome en 21 vol., 1725-1748 (voir bibliographie). les
descriptions fréquentes de ces pompes triomphales, avec la liste de tout ce qui les
accompagnoit
accompagnait
. Au reste, je crois que vous avez omis un autre moyen de varier un récit. Ce
sont certaines digressions intéressantes. Il me semble qu'elles détournent un moment
l'attention du lecteur, pour la ramener ensuite, avec un plaisir plus vif, à l'objet
principal.Ce passage est cité par Randa Sabry dans le contexte de la
digression comme 'diversion-diversité' ; voir Sabry, Stratégies
discursives, 1992, (voir bibliographie), p. 63. Ces morceaux détachés produisent le même effet
dans le récit, que dans un vaste jardin, font ces bosquets écartés, dont la vue est
d'autant plus délicieuse, qu'elle est moins attendue. Le portrait de Coriolan, dans l'
Auteur
auteur
que vous venez de citer, me
paroît
paraît
surtout avoir ce mérite. Il ne m'est jamais sorti de l'esprit.
Révol. Rom. l. 2
Révolution romaine, livre 2
.
Aubert de Vertot, Histoire des révolutions..., 1727
(voir bibliographie),
p. 154.
Desit: verifier; (page 125 dans l'édition de 1833).
Avant que de rapporter les suites de cette affaire, dit cet
historien, je ne crois pas que nous puissions nous dispenser de faire connaître un peu
plus particulièrement un homme qui va jouer un si grand rôle dans cet endroit de
l'histoire,
&
et
dont la fortune eut plus d'éclat que de bonheur...
Coriolan
étoit
était
sage, frugal, désintéressé, d'une probité exacte, attaché inviolablement à
l'observation des
loix
lois
. Avec ces vertus paisibles, jamais on n'
avoit
avait
vu une si haute valeur,
&
et
tant de capacité pour le métier de la guerre. Il
sembloit
semblait
qu'il fût né général. Mais il
étoit
était
dur
&
et
impérieux dans le commandement ;
sévère
sévère
aux autres, comme à lui-même, ami généreux, implacable ennemi, trop fier pour
un républicain. Content de la droiture de ses intentions, il allait au bien sans
ménagement,
&
et
sans ces insinuations si nécessaires dans un état, dont l'égalité
&
et
la modération,
faisoient
faisaient
le fondement.
Voilà dans un seul exemple, une digression
&
et
un
caractere
caractère
. Je crois que vous devez être content de moi.
Assurément, repartit Euphorbe ; je le suis autant que de l'
Auteur
auteur
. Le portrait qu'il nous donne, est bien fait ; les couleurs en sont vives
&
et
brillantes ; mais il a un mérite de plus ; il forme
un
une
espece
espèce
d'
interméde
intermède
, qui dégage un moment notre esprit des éternelles contestations entre le Sénat
&
et
les Tribuns du peuple,
&
et
le prépare admirablement bien aux
événemens
événements
qui vont être racontés. Larrey, dans son histoire de Louis XIV,Il s'agit d'Isaac de Larrey (1639-1719), historiographe. Il est l'auteur
d'une Histoire de France sous le règne de Louis XIV, 1718 (voir
bibliographie).
auroit
aurait
fait plus sagement de suivre cette route, que d'entasser l'un sur l'autre, à
l'entrée de son ouvrage, tous les portraits de ceux qui
devoient
devaient
y
paroître
paraître
avec éclat, tels que la reine Anne, le prince de Condé, le cardinal Mazarin, le
duc de Beaufort, l'abbé de la
Riviere
Rivière
,
&
et
plusieurs autres. Il nous
auroit
aurait
épargné l'ennui que fait naître cette
espece
espèce
de galerie, trop uniforme, malgré la diversité des peintures qu'elle
présente ;
&
et
il se
seroit
serait
réservé, pour ainsi dire, des
pieces
pièces
de rapport, qu'il
auroit
aurait
pu
enchasser
enchâsser
ensuite habilement, dans les endroits qui
auroient
auraient
eu besoin de ce secours.Sade recourt au même principe d'une
galerie initiale de portraits, dans Les Cent Vingt Journées de
Sodome, ouvrage resté inachevé en 1785. Les descriptions procurent le même
avantage, quand elles sont bien placées. Nous avons remarqué avec quelle précipitation
l'abbé de Vertot passe sur les guerres des Romains avec les peuples voisins : le même
Auteur
auteur
néanmoins ne manque pas de décrire avec plus d'étendue celles qui renferment
quelque chose de singulier
&
et
d'intéressant,
&
et
qu'il juge capables de soulager l'attention du lecteur, trop longtemps fixée sur
le même objet. Pour s'en convaincre, il suffit de lire
,
le détail de l'expédition de Sempronius
Révol. Rom. t. 2, l. 6
Révolution Romaine, tome II, livre VI
, p. 157.
Desit: vérifier, citer tjs de même., contre les
Volsques, ou l'armée du consul fut sauvée par la résolution
&
et
l'habileté d'un simple capitaine de cavalerie, nommé Tempanius. Sa précision
dans le premier cas,
&
et
son abondance dans le second, ont le même but, de prévenir le dégoût, dont
l'uniformité fut toujours la
mere
mère
, comme dit l'
Orateur
orateur
Romain
romain
.
De invent. l. 1°, n° 59.
De inventione, livre I, n° 59 :
omnibus in rebus similitudo est satietatis mater.
Cicéron, De inventione (voir bibliographie), livre premier, § 76.
La citation est reprise du passage suivant : « Variare autem orationem
magnopere oportebit ; nam omnibus in rebus similitudo mater est
satietatis ». Mais dans cette
espece
espèce
d'ornement, il faut éviter de se jeter dans des lieux communs, si vagues, si
généraux, qu'on
pourroit
pourrait
les faire entrer dans toutes sortes de sujets. Vos digressions produisent encore
un très bon effet dans le récit, si elles ne sont ni trop longues, ni trop fréquentes. Par
exemple, celle du phœnix, que nous lisons au
sixieme
sixième
livre des Annales de Tacite,Desit: référence
se trouve bien placée pour interrompre le spectacle odieux du sang que
Tibere
Tibère
fait couler dans Rome.
A
À
propos de ce que vous venez de condamner dans l'histoire de Louis XIV, dit alors
Timagène, pensez-vous qu'il ne soit jamais permis de débuter, dans un récit, par quelques
portraits ? Il me semble cependant, que Salluste commence son histoire de la guerre
de Catilina, par le portrait de ce fameux scélérat,
&
et
que ce beau morceau n'ouvre pas mal la scène.
J'en conviens, répondit Euphorbe ; mais vous remarquez ici aussi bien que moi, une
grande différence entre les deux ouvrages dont il s'agit. Le portrait que l'
Auteur
auteur
Latin
latin
met à la tête du sien, est celui du principal personnage, qui doit figurer dans
toute l'action, et, pour ainsi dire, du héros de la
piece
pièce
.
Par-tout
Partout
il agit ;
par-tout
partout
il se présente. Il n'
étoit
était
donc pas à craindre que des objets étrangers fissent oublier dans la suite au
lecteur ses traits sous lesquels il l'
avoit
avait
peint. Rien de plus utile,
&
et
rien de plus nécessaire, avant d'entrer dans le récit d'un complot fameux, que
de faire
connoître
connaître
les inclinations
&
et
les
talens
talents
de celui qui en a été l'
ame
âme
. Mais dans l'
Auteur
auteur
françois
français
, lorsque les
événemens
événements
viennent se ranger à leurs places, je suis obligé de faire un effort de mémoire, pour me
rappeller
rappeler
les
caracteres
caractères
de chaque personnage, qu'il a rassemblés, comme dans une
espece
espèce
de préface, ou de revenir sur mes pas, pour les consulter ;
&
et
cette pénible distraction n'est dédommagée par aucun agrément. Au reste, c'est
la nature de l'ouvrage,
&
et
le goût de l'
Auteur
auteur
qui décident de quelle façon il doit débuter dans son récit. Nous en avons des
exemples de différente
espece
espèce
. Sans parler de Salluste, César commence sa guerre des Gaules, par la
description de ces provinces : Tite-Live entre dans le récit de la guerre des Romains
contre Philippe,Dec. I, l. 4.
(Desit: trouver passage chez
Tite-Live. Ajouter La Fontaine à l'index.) par le détail des causes qui ont fait
naître l'action,
&
et
il a été imité en cela, par l'abbé de
S. Réal
Saint-Réal
, dans sa
conjuration contre Venise
Conjuration contre Venise
.Saint-Réal Conjuration des
Espagnols..., 1674 (voir bibliographie).
Desit: pages/édition. Notre fabuliste
pourroit
pourrait
lui seul servir de modèle en ce genre. Souvent il vient tout de suite au
fait ; quelquefois, il met en avant une réflexion morale :
La raison du plus fort est toujours la meilleure.
Dans un autre endroit, une remarque physique.
Les loups mangent gloutonnement.
Enfin il a répandu sur cette partie du récit, une admirable
variété. Mais en parlant des digressions, je ne m'aperçois pas que j'en fais une ici
moi-même ;Cette phrase est citée par Randa Sabry, dans son
ouvrage sur la digression. À l'âge classique, y explique-t-elle, le discours sur la
digression appelle un discours légitimateur sur la digression, mais ce discours est
lui-même perçu comme potentiellement illégitime parce que digressif. Voir Randa Sabry,
Stratégies discursives, 1992 (voir bibliographie), p. 44-45.
&
et
j'
allois
allais
oublier de rapporter un dernier moyen, fort propre à bannir une trop grande
uniformité dans les ouvrages dont nous parlons. Il consiste à ne pas suivre trop
servilement l'ordre des temps. Il est bon quelquefois de laisser en
arrière
arriere
certains
événemens
événements
, pour y revenir dans la suite ; de
paraître
paroître
les avoir oubliés, pour les rappeller au lecteur, dans une circonstance plus
avantageuse.
Ces jours derniers, ajouta Timagène, je
relisois
relisais
les
révolutions Romaines
Révolutions romaines
. Il me semble que l'
Auteur
auteur
a mis en usage l'adresse dont vous venez de parler,
particuliérement
particulièrement
au commencement de son dixième
Livre
livre
Rév. Rom. l. 10
Révolutions romaines, livre X
, p. 22.
Vertot, Histoire des
révolutions..., 1727 (voir bibliographie).
Desit: page/édition. Après avoir raconté
l'expédition de Marius, contre les Cimbres
&
et
les Teutons,
&
et
sa conduite dans Rome, depuis cette victoire, il retourne sur ses pas, pour nous
apprendre la part qu'
avoit
avait
eue Sylla à cette guerre fameuse, ses
déportemens
déportements
dans le camp de Catulus,
&
et
sa contestation avec le vainqueur des Cimbres, au sujet des statues d'or de
Bocchus. Je
m'apçois
m'apperçois
que cette transposition forme une agréable diversité,
&
et
que ces objets font un meilleur effet rapprochés de la guerre civile, que s'ils
étoient
étaient
à leur place naturelle ;
&
et
je conçois
par-là
par là
, que la variété peut trouver place même dans les faits historiques,
&
et
qui ne sont point fournis à la volonté de l'écrivain. Il ne lui reste plus que
de la répandre dans son
stile
style
,
&
et
cela n'est pas fort difficile.
Pas si facile que vous vous l'imaginez peut-être, reprit Euphorbe. C'est ici qu'on peut
appliquer en particulier la pensée d'Horace ;Ut sibi
quivis / Speret idem ; multum sudet frustraque laboret, / Ausus idem.
Hor. de Art. Poët.
Horace, Art poétique,
v. 241. écrivons de manière que chacun se flatte de nous égaler,
&
et
qu'il commence à en désespérer, après des efforts aussi longs qu'inutiles.La citation est tirée d'un passage sur le style des satyres. Dans son
édition des Quatre poétiques, en 1771 (voir bibliographie), l'abbé Batteux traduit
le passage en question de la manière suivante : « Je prendrois pour modele un familier
si simple, que chacun se croitoir capable d'en faire autant ; et si on osoit
l'entreprendre, on sueroit beaucoup, et peut-être sans succès : tant la suite et la
liaisons donnent de relief aux choses les plus communes. » (tome II, p. 39). Dans son
édition des Œuvres d'Horace de 1967 (voir bibliographie), François Richard
traduit le passage de la manière suivante : « Je prendrais dans la langue courante les
éléments dont je façonnerais celle de mes vers ; si bien que tout le monde croirait
pouvoir en faire autant, mais verrait à l'expérience que les efforts pour y réussir
n'aboutissent pas toujours ; tant a d'importance le choi et l'arrangement des termes,
tant peuvent prendre d'éclat des expressions empruntés au vocabulaire ordinaire ! »
(p. 265).
Mais, après tout, repartit Timagène, il me semble que, pour obtenir l'effet que nous désirons, il suffit d'être attentif à ne pas répéter les mêmes
pensées,
&
et
à mettre en usage différentes expressions,
&
et
différents tours de phrases.
Et
c'est-là
c'est là
, précisément, répliqua Euphorbe, ce qui demande beaucoup de goût
&
et
de délicatesse. Est-il donné à tout le monde de se métamorphoser, pour ainsi
dire, comme un Protée,
&
et
de prendre, selon les circonstances, la façon de penser,
&
et
le langage de toutes les conditions, de tous les âges
&
et
de tous les pays ? Voilà cependant ce qu'exige le récit. On ne raconte
point un fait historique de la même
maniere
manière
qu'une fable ; le
stile
style
de la narration dans la
poësie
poésie
, n'est pas le même, que dans une lettre. Le sujet est-il une fiction ? Il
faut que le
stile
style
soit proportionné à l'état
&
et
aux mœurs des personnages qu'on introduit. Agamemnon doit agir
&
et
parler avec hauteur
&
et
fierté, comme le souverain de cent rois ; Achille, en guerrier violent
&
et
emporté ; Ulysse, en homme fin
&
et
rusé. Le lion ne doit pas penser comme le renard, ni le singe comme l'âne.Ne quicumque Deus quicumque adhibebitur heros, [p.88]
Regali conspectus in auro nuper
&
et
ostro, Migret in obscuras humili sermone tabernas ; Aut, dum vitat
humum, nubes
&
et
inania captet.
De Art. Poët.
De arte poetica,
v. 227.Ne mettons
point, dit Horace, dans la bouche des Dieux
&
et
des héros, le
stile
style
de la vile populace ; il s'accorde mal avec l'éclat qui les environne.
Mais aussi, dans la crainte de ramper, n'allons point nous perdre dans les nues.
Chaque âge à ses idées
&
et
ses affections
particulieres
particulières
. On les trouve rassemblées dans les beaux portraits que nous a tracés le même
poëte
poète
que je viens de citer.
De Art. Poët.
De arte poetica,
v. 156. Desit: vérifier citations, traductions, et mise en
page (séparation texte / notes), ajouter réferences.) S'agit-il de
l'histoire ? Il n'est pas permis de faire la description d'une bataille, de la même
façon que le détail d'une négociation. Une anecdote entre des particuliers, demande plus
de simplicité que les délibérations d'un conseil souverain. De tout cela, je crois qu'on
peut conclure avec Quintilien, que le récit n'a point de
stile
style
qui soit à lui, mais qu'il doit les adopter tous. Voici comment s'exprime ce
savant
Rhéteur
rhéteur
, en parlant de la narration oratoire.Non magis proprium est narrationis magnifice dicere,
quam miserabiliter, invidiose, graviter, dulciter, urbane, quæ cum suo qnæque loco
sint laudabilia, non sunt huic parti propriè assignata
&
et
velut dedita.
Quint l.4, c. 2
Quintilien, De institutione oratoria, livre IV, chapitre 2
[section 62]
.
Le
stile
style
grand
&
et
magnifique n'est pas plus particulier à la narration, que le
stile
style
pathétique, que celui qui nous arrache des larmes, que celui qui rend odieux
nos adversaires, que le
stile
style
sérieux, le
stile
style
plaisant, le
stile
style
gracieux. Chacun d'eux mis à sa place, fait un effet admirable ; mais
aucun n'est tellement affecté à cette partie du discours, qu'il soit pour ainsi dire son
appanage.
Ne peut-on pas appliquer cette maxime à toute
espece
espèce
de narration, aussi-bien qu'à celle de l'orateur ?
Je suis charmé, poursuivit Timagene, que Quintilien admette dans le récit le
stile
style
plaisant. Les bons mots, les plaisanteries produisent une
espece
espèce
de variété qui déride le front ;
&
et
je vous avoue que j'ai peine à soutenir longtemps la lecture d'un
Auteur
auteur
, toujours aussi sérieux qu'un magistrat sur les fleurs de lys.
Vous voulez qu'on vous égayé, repartit Euphorbe ? Il
faut vous l'accorder, pourvu que ce soit à propos. Remarquez, s'il vous plaît, ces mots de
notre
Auteur
auteur
, Suo quæque loco
. La plaisanterie contribue à
varier le récit ; mais elle a sa place marquée, hors de laquelle elle ne doit point
être admise. Elle peut figurer dans une fable, dans une lettre, dans une
conversation ; mais elle doit communément être bannie des sujets grands
&
et
majestueux, tels que sont l'histoire, la narration oratoire, épique, ou
tragique. Si Quintilien permet de l'associer quelquefois à l'éloquence, il faut que la
singularité des conjonctures excuse cette liberté. Vous me répondrez, peut-être, que le
personnage de Thersites, dans l'
Iliade
Iliade
, vaut bien une plaisanterie. Je vous avoue, que quand ce portrait ridicule
seroit
serait
retranché, je crois que ce beau
poëme
poème
n'y
perdroit
perdrait
rien. Peut-être est-ce
un
une
ombre qu'
Homere
Homère
a voulu
jetter
jeter
sur son tableau, pour en faire mieux sortir les parties saillantes ; mais
cette ombre est un peu chargée. Virgile, qui fait son profit de tout ce qu'il y a de beau
dans ce prince des
poëtes
poètes
, n'a pas jugé à propos de s'approprier cet épisode ;
&
et
Virgile
avoit
avait
du goût.
Pour le coup, interrompit Timagène, je crois vous trouver en
défaut. Virgile ne plaisante-t-il pas dans l'
avanture
aventure
de Gyas, qui jette son pilote dans la mer, dans celle des Troyens, qui mangent
leurs tables ? L'abbé de Vertot, votre ami, ne se permet-il pas des bons mots dans
ses
révolutions Romaines
Révolutions romaines
? Témoin, celui que Sertorius dit à l'occasion de Métellus, qui l'
avoit
avait
empêché de défaire les troupes de Pompée, près de Sucrône :
Revol. Rom. l.
Révolutions romaines, livre
11.
(Desit: identifier passage et lieu.)
Que si cette vieille n'eût retiré ce jeune enfant de ses mains, il
allait le renvoyer à Rome à ses parents, après l'avoir corrigé comme il le
méritait
. Enfin l'
Orateur
orateur
Romain
romain
lui-même, a cru pouvoir les allier avec la plus sublime éloquence. Tout le monde
sait que, profitant de la consonnance du nom de Verrès avec le mot latin,
Verrere
verrere
, qui signifie balayer, il nomme cet honnête préteur, le balai de la Sicile.
Permettez-moi, reprit Euphorbe, de répondre par ordre à vos difficultés,
&
et
vous conviendrez, peut-être, que je n'ai pas
tout-à-fait
tout à fait
tort. En vous accordant que les deux endroits de l'
Ænéide
Énéide
, dont il est question, sont des plaisanteries,
observez, s'il vous plaît,
ou
où
le
poëte
poète
les a placées. La
premiere
première
, est dans un spectacle, qui forme une
espece
espèce
de scène comique
&
et
amusante ; l'autre, dans un repas : encore se trouve-t-elle dans la
bouche d'un enfant, à qui son âge peut permettre des réflexions pareilles. Ce n'est point
ici un conseil de cent Rois, qui
déliberent
délibèrent
sur les objets les plus importants. Ainsi, la
poësie
poésie
épique peut se relâcher de sa sévérité ordinaire, dans certaines circonstances
fort rares, qui naissent du sujet ;
&
et
cette exception sert à confirmer la
régle
règle
, en la faisant mieux remarquer. L'histoire interdit les bons mots, mais
seulement à l'écrivain qui la compose, sans lui défendre de rapporter ceux des
différens
différents
acteurs qu'il fait
paroître
paraître
successivement. Souvent ils sont fort utiles pour dévoiler le
caractere
caractère
de ceux qui agissent. Celui que vous venez de rapporter, est de ce genre. Nous
voyons dans ce peu de mots, ce qu'un capitaine consommé, tel que Sertorius,
pensoit
pensait
alors du jeune Pompée. Pour Cicéron, je vous l'abandonne sur cet article. Il
aimoit
aimait
à plaisanter,
&
et
n'y
réussissoit
réussissait
pas toujours également bien. Il a employé très rarement les jeux de mots dans ses harangues ; mais il y en a encore trop.
En général, le sérieux ne sympatise point avec les pensées puériles, les jeux de mots, les
bouffonneries. Peut-on pardonner à un
Auteur
auteur
de dire,
Voyage de la
Voyage de la
rason
raison
, 1771.
Voir Louis-Antoine de Caraccioli (1719-1803),
Voyage de la raison en Europe, 1772 (voir bibliographie). que Descartes, qui exclut le vide de la nature, en met quelquefois dans ses
écrits
? Que, pour peu qu'on soit délicat, on n'aime
point avoir les passions en déshabillé
? Que la
république de
S.
Saint
Marin, semble garder l'incognito ; mais que les plus petites
boëtes
boîtes
renferment souvent les meilleurs onguents
? N'est-ce pas là
prêter à la raison le persiflage d'Arlequin ?
Je vois bien, répliqua Timagène, que vous me forcerez toujours d'être de votre
avis ; mais je me console, puisque vous laissez encore quelque place à la
plaisanterie, dans les sujets les plus graves :
&
et
je crois, comme vous, qu'il faut user rarement de cette permission. C'est un
assaisonnement ; il déplaît, s'il est répandu avec trop de profusion.
Ne vous est-il point arrivé, dit alors Euphorbe, de lire l'
Ænéide travestie
Énéide travestie
?Paul Scarron (1610-1660) lança, avec son Virgile travesti, paru de 1648 à 1653, une mode de la réécriture
burlesque de textes de l'Antiquité. Antoine Furetière (1619-1688) publia L'Ænéide travestie, en 1649.
Desit:index, aussi
Phèdre.
Sans doute, répondit Timagène ;
&
et
ce
poëme
poème
m'a beaucoup amusé dans ma jeunesse.
Eh bien, continua Euphorbe, dites-moi franchement, combien
vous en pouviez lire à chaque fois.
J'avais bien de la peine à fournir deux cent vers, repartit Timagène ; encore les
derniers m'
ennuyoient
ennuyaient
-ils à périr.
Vous éprouviez, ajouta Euphorbe, l'effet infaillible de toute plaisanterie continuelle,
surtout quand elle devient bouffonne
&
et
triviale. Les auteurs burlesques prétendent s'excuser, en se donnant pour les
imitateurs des anciens, tels que Plaute
&
et
Aristophane ; mais ils ne leur ressemblent qu'en ce qu'ils ont de
défectueux, au jugement des gens de bon goût ; pareils à cet empereur Romain, qui ne
copiait
copioit
dans Alexandre le grand, que la mauvaise habitude de porter la tête de côté.
Revenons donc : la variété seule a le droit de plaire. Elle doit
regner
règner
par-tout
partout
dans les faits, dans les pensées,
&
et
dans l'expression ;
&
et
cette
derniere
dernière
n'est pas moins nécessaire, ni moins difficile, peut-être, que celle dont nous
venons de parler. Le lecteur ne s'apperçoit pas combien il en a coûté à l'écrivain, pour
lui présenter cent fois le même objet, sous des livrées différentes : mais ce travail
n'en est pas moins réel ;
&
et
il n'y a que dans les procès-verbaux, où il soit permis de répéter sans cesse le
même terme, accompagné de l'épithète susdit.
Il est vrai, reprit Timagène : j'ai souvent éprouvé la difficulté dont vous parlez.
Si je veux écrire une lettre, le même mot vient toujours se présenter sous ma plume ;
&
et
si je n'y fais une sérieuse attention, je suis surpris de voir, en relisant, que
je me suis répété plusieurs fois. Je me rappelle à cette occasion, qu'un homme de beaucoup
de goût me fit remarquer autrefois dans une fable de Phèdre, cette variété d'expressions,
qui ne m'
avoit
avait
jamais frappé jusqu'alors. C'est dans la fable des grenouilles, qui demandent un
Roi. Le
poëte
poète
se sert d'abord du mot ordinaire, ranae ; bientôt
après, il désigne ces animaux sous l'expression de pavidum
genus ;
&
et
plus bas, il les appelle, turba petulans.La Fable des grenouilles (Ranae regem patentes), est la fable II au livre
premier des Fables de Phèdre.
Permettez-moi, dit Euphorbe, de vous faire ici une demande. Puisque ces deux façons de
parler, pavidum genus,
&
et
turba petulans, signifient également les
Grenouilles
grenouilles
,
pourroit
pourrait
-on les substituer l'une à l'autre,
&
et
les employer indifféremment
&
et
sans choix dans les deux endroits de la fable que
vous citez ?
Non assurément, répondit Timagène. Ce
seroit
serait
choquer le bon sens, que d'appeler troupe insolente, les grenouilles effrayées
par la chute d'un soliveau :
&
et
il ne
seroit
serait
pas moins ridicule de leur donner le titre de nation timide
&
et
peureuse, dans le moment où elles ont l'audace de sauter sur l'épaule de leur
nouveau Roi. Je comprends
par-là
par là
ce que vous voulez dire : que ces différentes dénominations doivent se
rapporter aux temps, aux lieux, au sujet
&
et
à l'action dont on parle,
&
et
qu'on ne doit pas s'en servir au hasard. Il ne
seroit
serait
pas plus raisonnable d'appeler Mahomet, un Apôtre armé,
dans le temps où il se déroba aux poursuites du magistrat de la Mèque, que de le traiter
de Prophète fugitif, lorsqu'il emporta cette même ville l'épée à la
main.
Il ne
suffiroit
suffirait
pas que les termes fussent différents, ajouta Euphorbe, si le tour de la phrase
étoit
était
le même. J'ai toujours admiré avec quelle fécondité inépuisable, Virgile nous
peint les replis de ces affreux serpents qui
déchirerent
déchirèrent
Laocoön
Laocoon
&
et
ses
enfans
enfants
.
D'abord, il exprime ainsi leur arrivée ; immensis orbibus angues incumbunt pelago
Ils
chargent les flots de leurs immenses contours..
Bien-tôt
Bientôt
après, il ajoute, pars caetera... fermat immensa volumine
terga
L'extrémité de leur corps se recourbe en tortueux
replis.. Plus bas, il présente encore le même objet, en ces termes, corpora natorum serpens amplexus uterque, implicat
L'un
&
et
l'autre monstre saisit
&
et
enveloppe ses malheureux enfants.. Lorsqu'il s'agit du
pere
père
, ce sont encore de nouveaux tours, pour la même idée. Ici, spiris ligant ingentibus
Leur énormes corps, forment des
chaînes redoublées qui le serrent.. Là, manibus tendit
divellere nodos
II fait effort pour se dégager de ces
horribles nœuds.. Il faut assurément bien posséder sa langue, pour suffire à une
abondance pareille,
&
et
dans cette conformité d'idées n'addmettre aucun mot qui soit répété deux fois, à
l'exception d'une seule épithète.
Je ne crois pas, répliqua Timagène, qu'il y ait plus de
variété dans ce morceau de Virgile, que dans celui d'un
poëte
poète
de nos jours, que vous me permettrez de vous rappeller ici. Le sujet est badin,
&
et
je pense que c'est un nouveau mérite pour l'auteur, qui s'est trouvé obligé de
relever la bassesse de sa
matiere
matière
, par l'élégance de sa diction. C'est du
Lutrin vivant
Lutrin vivant
, que je veux vous parler.Jean-Baptiste Louis Gresset
(1709-1777 ), poète et dramaturge, élu membre de l'Académie française en 1748, publia
Le Lutrin vivant en 1734. Il s'agit de décrire
l'invention de dame Barbe, qui s'avise d'employer les feuillets de l'antiphonier,Selon Féraud, l'antiphonier est un « livre qui contient les antiènes
qu'on chante dans l'Église, notées en plain chant ». pour réparer le haut de
chausses d'un enfant de chœur. Cet objet trivial revient sans cesse,
&
et
toujours le poète le dépeint avec des grâces nouvelles. Il entre ainsi en
matière.
L'enfant de chœur Lucas
Avait usé l'étui des pays-bas.
Desit: édition
Il fallait y remédier,
&
et
l'enfant trop pauvre, n'
avoit
avait
pas les moyens nécesaires pour cela. Dame Barbe devient sa ressource.
Enfin, pourtant, l'habile gouvernante
Sût lui forger une armure décente.
Elle détache quelques pages d'un vieux antiphonier,
Et les coud proprement,
Pour relier un volume vivant.
Ces feuillets
renfermoient
renfermaient
l'office du Patron. Le jour de la fête, le chantre, après avoir inutilement
cherché dans le livre,
apperçoit
aperçoit
par hasard l'enfant de chœur,
Qui de grimauds renforçant une troupe,
Sans le savoir, portait l'office en croupe.
Voilà de suite quatre façons de parler différentes, aussi élégantes que nobles, pour
exprimer un même objet, qui ne l'est assurément pas par lui-même. Elles ont encore
l'avantage d'être placées, chacune dans l'endroit qui lui convient. Je crois que Virgile
lui-même
accorderoit
accorderait
son suffrage à cette riante fécondité ?
Quel homme de lettres, repartit Euphorbe, ne goûte pas dans l'
Auteur
auteur
que vous citez, cette facilité de
style
stile
, ce beau négligé,
&
et
cette aimable paresse qui semblent caractériser ses poésies ? Mais surtout
la variété
&
et
l'abondance des expressions y sont admirables ; il sait déguiser si
parfaitement son travail, qu'on
seroit
serait
tenté de lui appliquer, ce qu'Ovide dit de
lui-même, et quid-quid tentabam dicere, versus
erat
.(Desit: identifier passage chez Ovide: Tristia, IV, 10, 26.
Je n'
ouvrois
ouvrais
la bouche, que pour parler en vers.
Par ce déguisement, reprit Timagène, ne court-on pas risque de faire des ingrats ?
La plupart des lecteurs s'imaginent que rien n'est plus aisé que d'écrire ainsi,
&
et
n'en savent aucun gré à l'auteur. Il me semble qu'il
vaudroit
vaudrait
mieux imiter ces anciens écrivains du temps de François I, ou de Henri II, qui
chargeoient
chargeaient
leurs ouvrages de citations
Latines
latines
&
et
Grecques
grecques
. Cela
avoit
avait
un air savant,
&
et
annonçoit
annonçait
beaucoup d'étude
&
et
de lecture.
Cette méthode
pouvoit
pouvait
être bonne, interrompit Euphorbe, dans des
siecles
siècles
où l'on
lisoit
lisait
&
et
où l'on
étudioit
étudiait
. Nous en sommes dispensés aujourd'hui. Nous avons des dictionnaires
&
et
des abrégés : cela nous suffit. Je ne prétends pas justifier le mauvais
goût de ces temps reculés. On
citait
citoit
trop
&
et
trop souvent ; le prédicateur dans la
Chaire
chaire
, s'
appuyoit
appuyait
sur Aristote
&
et
Sénéque
Sénèque
; l'avocat au Barreau,
alléguoit
alléguait
S.
Saint
Chrysostôme
Chrysostome
&
et
S.
Saint
Thomas. Mais ne donnons-nous pas dans l'excès contraire ?
&
et
ne renonçons-nous pas à être
sçavans
savants
, dans la crainte de le
paroître
paraître
? Notre
siécle
siècle
est éclairé,
&
et
se flatte beaucoup de l'être : s'il se
trouvoit
trouvait
aujourd'hui un nouvel Amiot, qui s'avisât de présenter à quelque grand seigneur,
une épigramme
Grecque
grecque
, croyez-vous qu'il eût une réponse différente, de celle que Henri II fit au
premier ; c'est du Grec : à d'autres ?
Quoiqu'il en soit, si nous voulons plaire dans le récit, évitons toutes les citations qui
ne sont pas indispensables, ou d'une utilité évidente.
Vous mettez, sans doute, dans ce dernier genre, répliqua Timagène, celles qui se
rencontrent dans nos meilleurs historiens, lorsqu'ils rapportent les faits dans les mêmes
termes,
&
et
dans le vieux langage où ils ont été écrits par les
Auteurs
auteurs
qu'ils consultent, tels que Joinville,
Philippes de Comines
Philippe de Commines
&
et
autres. Il y en a quelques-unes de cette
espece
espèce
dans le président Hénault, quoiqu'il n'écrive qu'un abrégé.(Desit :
vérifier ou trouver l'anecdote .)
De ces citations, répondit Euphorbe, si elles sont distribuées avec prudence, on retire
un double avantage. Elles servent de preuve à ce que l'on avance, en montrant les sources
où l'on a puisé ;
&
et
elles répandent dans le récit une variété qui plaît, en nous remettant sous les yeux les expressions simples, naïves
&
et
énergiques de nos ancêtres.Bérardier perpétue ici l'idée,
présente chez le père Bouhours ou chez Jean Frain de Tremblay que la langue des époques
plus anciennes avait plus d'énergie ; voir Michel Delon, L'Idée
d'énergie, 1988 (voir bibliographie). Mais il me semble qu'elles doivent toujours renfermer
quelque chose de frappant, soit pour l'expression, soit pour la pensée, qui puisse excuser
la liberté qu'on prend de changer, pour ainsi dire, de langage. Telle est celle par où
débute La Fontaine, dans la fable du rat
&
et
de la grenouille.
Tel, comme dit Merlin, cuide engeigner autrui
Qui souvent s'engeigne soi même.
J'ai regret que ce mot soit trop vieux aujourd'hui,
Il m'a toujours semblé d'une énergie extrême.
Desit.
Telles sont les paroles que
Comines
Commines
met dans la bouche de Louis XI, pour excuser sa familiarité,
&
et
que rapporte le président Hénault : Lorsque orgueil
chemine devant, honte
&
et
dommage suivent de bien près
.(Desit: identifier et vérifier
passage .) Dans le fabuliste, la force d'une expression surannée,
&
et
dans l'historien, la richesse de la pensée, présentée sous un air simple
&
et
naïf, surprennent agréablement le lecteur.
Il faut convenir, ajouta Timagène, que dans les ouvrages d'esprit, comme dans toutes les autres productions de l'art, la variété contribue
beaucoup à prévenir le dégoût
&
et
l'ennui. Mais je trouve cependant, que par elle-même, elle n'a pas un certain je
ne sais quoi qui nous attache.Pour la notion du 'je ne sais quoi',
voir notre note page 61.
Ce parterre émaillé de mille fleurs différentes, charme les yeux : pourrait-on les
tenir fixés un quart-d'heure seulement sur cet objet, tout agréable qu'il est ? Il en
est de même, selon moi, de ces livres intitulés : Pensées
Diverses, Recueils de Pièces Fugitives. Il y règne une
prodigieuse diversité : cependant, on en abandonne la lecture, avec autant de
facilité qu'on l'
avait
avait
commencée. Je crois en
appercevoir
apercevoir
la cause dans le défaut d'intérêt. Ces sortes d'ouvrages parlent toujours à
l'esprit
&
et
jamais au cœur. C'est un bouquet qui flatte un moment l'odorat,
&
et
qui se fâne
aussi-tôt
aussitôt
. Tout ce qui nous intéresse, au contraire, a des grâces constantes,
&
et
qui ne fatiguent jamais. Je vous avoue mon faible ; c'est l'intérêt qui me
plaît dans un ouvrage.Sur la notion d'intérêt, voir nos remarques à la
page 105. C'est un
charme divin, un art magique, qui s'empare de notre
ame
âme
,
&
et
la conduit à son gré. Plus puissant que la baguette des
Fées
fées
, tantôt il arrache des larmes, tantôt il répand dans les cœurs la joie, la tristesse, ou l'horreur. En vain
prétendroit
prétendrait
-on lui résister : plus on fait d'efforts pour combattre, plus on est
asssuré d'être vaincu.
C'est cela précisément, interrompit Euphorbe, qui rend les spectacles dangereux,
sur-tout
surtout
à la jeunesse. Un
poëme
poème
dramatique, sans intérêt, est une
espece
espèce
d'automate : on n'en soutient pas même la lecture. Ce sont donc ceux qui
intéressent le plus, qu'on recherche avec le plus d'empressement. Jugez maintenant quel
effet ces représentations doivent faire sur un cœur jeune encore
&
et
qui n'est point en garde. Que l'illusion théâtrale ne produise point le plaisir
que nous y éprouvons, comme le prétend M. l'abbé Dubos,
&
et
qu'il ne soit dû qu'à l'émotion qu'excite en nous l'imitation d'un objet
intéressant, c'est une question qu'il est inutile d'examiner ici.Euphorbe fait référence aux Reflexions critiques sur la poésie et sur
la peinture de l'abbé Dubos, parues en 1719 (voir bibliographie). Ce qu'il y a
d'incontestable, c'est que pour nous attacher, il faut mettre en jeu des passions, qui
tout artificielles qu'on les suppose, ressemblent si bien aux véritables, qu'on peut s'y
tromper. L'intérêt seul peut faire jouer ces ressorts,
&
et
s'il ne s'
attachoit
attachait
qu'à réveiller des passions légitimes, telles que l'horreur pour le vice
&
et
la compassion pour les innocents malheureux, son
utilité
égaleroit
égalerait
ses charmes. Au reste, pour nous former une idée juste de ce qu'on appelle
intérêt, on peut dire, je crois, que c'est un penchant secret du cœur, qui nous rend
sensibles aux
événemens
événements
heureux ou malheureux que nous entendons raconter, ou dont nous sommes les
témoins.L’intérêt et l’intéressant deviennent des catégories
esthétiques centrales, au XVIIIe siècle. Voir, pour plus de renseignements, le dossier critique.
Je vous passe aisément la définition, repartit Timagène, pourvu que nous examinions
comment on le fait naître.
Tout l'artifice, reprit Euphorbe, consiste à faire agir le sentiment. La variété dont
nous nous entretenions
tout-à-l'heure
tout à l'heure
, fait les délices de l'esprit ;
&
et
le sentiment est l'
ame
âme
de l'intérêt, qui l'augmente à son tour
&
et
le fortifie. L'imagination est une faculté vive
&
et
impétueuse ;
bien-tôt
bientôt
elle cesse de s'occuper de ce qui lui
plaisoit
plaisait
le plus ; son feu demande sans cesse un nouvel aliment. Le sentiment est
constant
&
et
durable ;
&
et
plus l'émotion qu'il éprouve est forte
&
et
bien ménagée, plus il se fixe à l'objet qui en est la cause. On lit avec
plaisir, pendant un quart d'heure,
un
une
ode pleine de chaleur,
&
et
bien versifiée ; mais tout un peuple, pendant plus de deux heures, demeura
attentif à la représentation d'Athalie ; il y verse
des larmes ; il en sort à regret. L'un
&
et
l'autre de ces ouvrages attache par l'attrait du plaisir ; mais le premier
n'a que des charmes,
&
et
le second met en mouvement les passions ;
&
et
par-là
par là
même, il intéresse. Car tout ce qui produit en nous une vive émotion, a le droit
de nous attacher.
Sur ce principe, ajouta Timagène, je ne vois rien de si contraire à l'intérêt, que cette
affectation d'esprit trop
familiere
familière
à beaucoup d'écrivains. L'éclat des pensées, la richesse du
stile
style
, l'harmonie même
&
et
la cadence des phrases occupent l'esprit presque tout entier,
&
et
nuisent à l'impression qu'
auroit
aurait
fait l'objet lui-même, sans tout cet appareil étranger. Vous vous rappeliez,
peut-être, l'éloge funèbre du cardinal de Fleury qui fut fait, il y a quelques années,
dans la capitale de ce
Royaume
royaume
. Tout y
étoit
était
au profit de l'orateur,
&
et
rien, ou presque rien, pour le ministre. Les portraits, les pensées ingénieuses,
les descriptions brillantes, les antithèses recherchées y
étoient
étaient
prodiguées. Après la lecture de cet ouvrage, on s'écriait, quel
stile
style
! quelle abondance ! que d'esprit ! Mais presque personne ne
(Desit: commenter le dépassement de l'esthétique classique ici, à travers la
valorisation de l'intérêt. Mais sussi rejet de l'imagination.)
songeoit
songeait
à dire, quelle perte a fait la France ! Le sentiment, sans doute,
étoit
était
étouffé sous les
ornemens
ornements
de l'éloquence. Cherchons donc, s'il vous plaît, quels sont les moyens les plus
propres pour exiter certe douce émotion du sentiment, dont les chaînes, pour être de
roses, n'en sont pas moins invincibles.
On peut bien dire ici, avec l'abbé
du Bos
Dubos
, repartit Euphorbe, que le goût décide mieux du mérite d'un ouvrage, que les
raisonnemens
raisonnements
les plus exacts.(Desit : identifier passage précis de Dubos.
.) La règle la plus sûre pour savoir si l'on a réussi, est d'examiner si le récit
nous affecte nous-mêmes,
&
et
fait impression sur les autres. Essayons néanmoins d'analyser, le moins mal
qu'il sera possible, ces affections de notre
ame
âme
, qui produisent l'intérêt. Le ressort le plus puissant
&
et
le plus général de nos actions est cet amour de nous-mêmes qui veille à notre
conservation
particuliere
particulière
&
et
à notre bien-être. Nous démêlons encore dans notre cœur une inclination secrète
qui nous attache à nos semblables,
&
et
qui fait le lien de la société. L'assassin, qui dans les détours d'une forêt
poignarde le voyageur pour lui ravir son argent, en travaillant à son propre bien, est
obligé de vaincre la répugnance naturelle qu'il éprouve pour
ce crime affreux. De ces divers
sentimens
sentiments
, naît dans tous les hommes un double intérêt. L'un est général : nous le
connaissons sous le nom d'humanité ; il nous rapproche de tous les êtres
raisonnables,
&
et
nous rend citoyens de l'univers. Le Huron le plus farouche, à la vue d'un
étranger qu'on égorge, devient sensible,
&
et
se porte machinalement à le secourir. L'autre est particulier,
&
et
varie selon nos passions, nos
caracteres
caractères
, nos habitudes
&
et
les différentes situations où nous nous trouvons. Parmi tous les hommes, il nous
donne plus d'inclination pour ceux d'un certain état, d'un certain pays, d'une certaine
ville, d'une certaine condition : il nous affectionne à nos
parens
parents
&
et
à nos amis, à notre argent même, à nos possessions
&
et
à tout ce qui peut avoir rapport à ces objets.
Que de gens, interrompit Timagène, que l'intérêt particulier rend les fléaux de
l'univers, dont ils
devroient
devraient
être les citoyens !
C'est l'abus de l'amour-propre ; j'en conviens, continua Euphorbe : mais c'est
dans cet abus même que l'auteur d'un récit peut trouver de quoi rendre intéressant son
ouvrage.(Desit : comparer avec Dubos .)
Fort bien, reprit Timagène, je vous entends : nous
mettrons sous les yeux du lecteur, un héros qui périt de douleur de voir l'objet de sa
passion engager sa foi à un autre,
&
et
nous nous efforcerons de le rendre sensible à ce malheureux sort : nous
l'intéresserons pour un scélérat adroit, qui vient à bout, à force d'artifice, de détrôner
son souverain,
&
et
de se faire un grand nom : nous obtiendrons son estime, pour un jeune
libertin qui emploie son esprit
&
et
son habileté à tromper un père crédule, afin de satisfaire une passion aveugle,
&
et
qui se trouve enfin réduit à la plus honteuse misère. Je suis votre serviteur.
J'aimerais mieux ne lire jamais, que de m'intéresser pour de pareils événements.
Vous me faites injure, repartit Euphorbe, si vous croyez que ce soit là ma façon de
penser. Quand je dis qu'un auteur doit profiter des scènes que donnent les passions
&
et
les vices des hommes, afin de rendre son ouvrage intéressant, j'entends bien que
cet intérêt sera tout en faveur de la vertu. Si la fidélité de l'histoire l'oblige à
rendre justice aux talents
&
et
à l'habileté d'un scélérat, l'adresse du récit doit inspirer de l'horreur pour l'abus qu'il en fait ;
&
et
je condamne avec vous ces écrivains malheureux qui font goûter à leurs lecteurs
le poison le plus funeste, en les prenant par leur faible ; je veux dire en flattant
leurs penchants déréglés. Mais avec cela, il n'en est pas moins vrai que l'écrivain le
plus jaloux d'être utile, trouve dans ces désordres
même
mêmes
une source inépuisable d'intérêt. S'intéresse-t-on autant pour la vertu,
lorsqu'elle est libre
&
et
sans obstacle, que quand elle gémit sous les coups du crime heureux
&
et
puissant ? Pour être utile aux hommes, il faut leur plaire ;
&
et
pour leur plaire, il faut les intéresser.Bérardier de Bataut
mêle ici, de manière caractéristique, des aspects de la théorie esthétique du XVIIe
&
et
du XVIIIe siècle. Les théoriciens du XVIIe siècle avaient instauré une
hiérarchie théorique nette entre l’instruction avant tout morale
&
et
le plaisir esthétique, le dernier n’étant que le moyen pour produire la
première ; idée que Bérardier reprend. Au XVIIIe siècle, l'abbé Batteux distingue
les beaux-arts des autres arts par ce que leur finalité première est le plaisir
&
et
non l'utilité ; position que Bérardier n'adopte pas. Bérardier ajoute
cependant l'idée que le plaisir esthétique dépend à son tour de l'intérêt, catégorie qui
implique également la prise en compte de la perspective de réception, position
caractéristique des théoriciens du XVIIIe siècle. Pour plus de renseignements, voir
Nathalie Kremer, Préliminaires à la théorie esthétique du XVIIIe
siècle, 2008 (voir bibliographie), en particulier le chapitre « Instruire ou plaire ?
Finalité des beaux-arts », p. 28-43. Sur la notion d'intérêt, voir notre note page 105.
Desit:
créer section 'notions'
Pourvu qu'on s'y prenne de cette manière, répliqua Timagene, je suis d'accord avec vous.
Ainsi, en mettant à part tout ce qui peut flatter la malignité où les affections déréglées
du cœur humain, je crois que dans le genre d'écrire dont nous parlons, pour s'assurer du
succès, il faut préférer l'intérêt particulier au général. Ce qui nous touche
personnellement a sur notre âme un tout autre empire, que ce qui nous est commun avec le
reste des hommes. Cet empire est si puissant, qu'il nous fait trouver du plaisir dans le
spectacle des dangers les plus affreux, où les autres sont
exposés, par l'assurance où nous sommes d'en être nous-mêmes exempts. Vous connaissez ces
vers fameux d'un poète latin,
Lucr. de Nat. Rer. Lib. 2°
Lucrèce, De rerum natura, livre 2
.
Pour une utile mise au point, tant de l'histoire du
'naufrage vue de loin' depuis Lucrèce que de ses réalisations narratives au XVIIIe
siècle, voir Michel Delon, « Naufrages vus de loin », 1988 (voir bibliographie).
Suave mari magno, turbantibus æquora ventis,
E terra alterius magnum spectare laborem.
« C'est un objet charmant, pour un homme placé sur le rivage,
d'appercevoir un vaisseau battu de la tempête,
&
et
d'être témoin du péril
&
et
du désespoir de tout l'équipage. »
Tout le monde n'est pas du même avis que Lucrèce, interrompit Euphorbe. Le poète rejette
ce sentiment sur la malignité du cœur humain, jointe à la persuasion où l'on est que le
péril ne nous regarde point ; mais d'autres l'attribuent à l'émotion vive
&
et
animée qu'excite en nous la vue d'un objet aussi pittoresque qui s'empare de
toutes les facultés de notre âme,
&
et
les tient en suspens.(Desit: retrouver les deux positions; Dubos?
.) Je me rangerais volontiers du coté de ceux-ci : car enfin, personne ne
s'avise de réfléchir dans cette circonstance, s'il est à couvert des maux auxquels les autres sont en proie. On y pense même si peu, que quand un
intérêt vif
&
et
particulier vient alors se joindre à ce trouble, où l'on trouve des charmes, on
ne balance pas à s'exposer soi-même aveuglement à la mort la plus certaine. Une épouse, un
père, se précipiteront au milieu des eaux ou des flammes, pour en arracher un époux où un
fils,
&
et
ne s'appercevront pas qu'ils vont périr eux-mêmes, sans pouvoir secourir ceux
dont le danger les effraye.
Tout cela est fort bon, reprit Timagène : mais, pouvez-vous en dire autant de ce
plaisir barbare que goûtaient les Romains, en voyant des gladiateurs s'égorger sous leurs
yeux,
&
et
l'arène baignée de leur sang ?
Sans doute, continua Euphorbe. Un Romain, dès l'âge le plus tendre, accoutumait sa vue à
ces spectacles sanglants ; dans des combats presque continuels il fortifiait cette
habitude,
&
et
la peinture où la simple description de ces jeux cruels, qui suffirait pour vous
émouvoir avec plaisir, n'aurait effleuré que la superficie de son âme,
&
et
l'aurait trouvé insensible. Ne commençons-nous pas nous-mêmes à nous apprivoiser
avec ces objets ? Nos tragiques du siècle dernier
avoient
avaient
grand soin de ne point mettre sous les yeux du spectateur, des héros expirants.
Nous devenons plus intrépides aujourd'hui ; nous imitons nos voisins,
&
et
nous voulons voir par nous-mêmes l'effet du poison
&
et
du fer.Voir, pour l'analyse d'un exemple de cette pratique
théâtrale modifiée, Kate Tunstall, « Racine in 1760 and 1910 », 2005 (voir bibliographie). Le grand art,
pour rendre un récit intéressant, est donc d'examiner avec soin, quelle impression ferait
l'objet lui-même sur ceux qui doivent en lire ou en entendre le détail : ce qu'on ne
peut découvrir qu'en étudiant leur caractère, leurs usages
&
et
leurs mœurs. Les Grecs, plus délicats
&
et
plus sensibles que les Romains,
&
et
moins faits aux horreurs du carnage, ne se prêtèrent que fort tard aux
divertissements de l'arène. En adoptant les usages de leurs vainqueurs, ils en prirent la
férocité. Ainsi, ce qui amusera tout un peuple, en révolterait un autre. C'est à quoi le
narrateur doit faire une sérieuse attention, en observant d'ailleurs, que la
représentation d'un objet a bien moins de force pour émouvoir l'esprit
&
et
le cœur, que n'aurait la présence de l'objet lui-même.(Desit: référence à
Dubos, qui parle de ces problèmes : objet réel, objet représenté. .) Nous
entendons avec un sentiment de compassion, mêlé de plaisir, la description de la mort de
Mithridate ou de Pompée ; si nous eussions été dans le
sénat aux Ides de Mars ; le corps de César percé de vingt-deux coups de poignard,
&
et
couvert de sang, nous eût causé de l'horreur. En un mot, c'est le mouvement que
l'on donne à nos passions qui nous captive
&
et
nous intéresse, pourvu que cette agitation ne soit pas assez violente pour
devenir désagréable. L'action du feu est douce
&
et
gracieuse à une certaine distance ; si l'on s'en approche de trop près,
elle divise, elle déchire
&
et
produit la plus vive douleur.
De tout ce que vous venez de dire, poursuivit Timagène, il est aisé de conclure qu'il y a
certaines personnes plus difficiles à ébranler que d'autres ; ce qui me persuade
encore davantage, qu'il faut préférer l'intérêt particulier au général. Le Tartare le plus
sauvage, s'il a des enfants, ne pourra refuser des larmes au sort de Brutus, forcé
d'immoler ses deux fils à la liberté publique. Les Romains, tout insensibles qu'ils
étoient
étaient
aux spectacles les plus barbares, ne voyaient qu'avec la plus vive émotion, un
de leurs citoyens traîné dans les prisons pour dettes, parce que cet objet les intéressait
tous en particulier.
Il est incontestable, reprit Euphorbe, que ce qui nous
touche personnellement, agit avec bien plus de force que tout ce qui n'a que des rapports
généraux
&
et
communs avec nous. Mais reconnaissez aussi que dans cette circonstance, on perd,
pour ainsi parler, en largeur, ce que l'on gagne en profondeur. On fait une impression
plus forte
&
et
plus durable : mais il y a moins de personnes qui en éprouvent les effets.
La mort d'un visir étranglé à la Porte, met en mouvement ses parents, ses amis, peut-être
une bonne partie de Constantinople ; au-delà, elle sert seulement d'entretien aux
nouvellistes.« Nouvelliste. subst. masc. Qui est curieux de sçavoir
& de debiter des nouvelles. », Dictionnaire de l'Académie
française (1e éd., 1694).
Eh bien, répliqua Timagène, pour terminer le différend, unissons l'un
&
et
l'autre intérêt, autant qu'il nous sera possible. Sans doute, alors vous serez
content. Il est peu de poètes, selon moi, qui les
ait
aient
(Desit: vérifier s'il n'y a pas une règle d'accord plus ancienne qui
justifie "ait" .) mieux rapprochés tous les deux, que Virgile dans son Énéide. Un
héros de la plus illustre naissance, vertueux, aussi intrépide qu'il est humain
&
et
généreux, capable d'une faiblesse, mais incapable d'un crime, éprouve tous les
malheurs
&
et
tous les revers qui semblent devoir être réservés aux scélérats. Il en triomphe
enfin par sa constance,
&
et
fonde un grand empire. Il n'est point d'homme,
quand on le supposerait né dans l'épais climat de la
Bœotie
Béotie
La Béotie, région de Grèce centrale., qui ne prenne
part aux dangers que court le fils d'Anchise, soit dans les longs voyages, soit dans les
guerres qu'il est obligé de soutenir en Italie. Mais pour les Romains, l'intérêt
étoit
était
encore bien plus vif. Dans Énée, Auguste retrouvait l'auteur de sa race, son
propre caractère,
&
et
jusqu'à ses défauts. Le peuple de Rome voyait avec plaisir dans l'aventure de
Didon la naissance de Carthage, cette fière rivale qu'il
avoit
avait
vaincue,
&
et
la source de ses démêlés avec elle. Quel objet plus flatteur pour les Patriciens
&
et
les grands, que d'appercevoir leurs noms
&
et
leurs familles annoncés si longtemps auparavant tantôt par les oracles, tantôt
dans les champs Élisées, tantôt sur le bouclier d'Énée,
&
et
le ciel tout entier, occupé de leur grandeur ? Partout, l'empire du monde,
promis par les destins à la ville que devait bâtir le prince Troyen, appuyait
merveilleusement l'opinion favorite de ces Républicains. Assurément, Madame Dacier
avouerait ici elle-même, que le chantre de Mantoue l'emporte sur son modèle.Il est question ici de Virgile, né à Andes près de Mantoue en Italie,
&
et
d'Anne Dacier (1647-1720), qui publia une traduction en prose de l' Iliade puis de l'Odyssée,
&
et
qui s'opposa à Houdar de La Motte dans ce qui devint une reprise de la
« Querelle des anciens
&
et
des modernes », au début du XVIIIe siècle. Pour une synthèse, voir
Anne-Marie Lecoq, La Querelle des Anciens et des Modernes :
XVIIe-XVIIIe siècles, 2001 (voir bibliographie).
Je suis fort de votre avis, poursuivit Euphorbe ; ces
deux attraits réunis agissent puissamment sur l'âme,
&
et
d'ailleurs, nous assurent les suffrages de tous les lecteurs tels qu'ils
puissent être.Nihil est aptius ad delectationem
lectoris, quam temporum varietates, fortunaeque vicissitudines. ... Habet enim
praeteriti doloris secura recordatio delectationem. Cæteris vero nulla perfunctis
propria molestia, casus alienos sine ullo dolore intuentibus etiam ipsa misericordia
est iucunda. Quem enim nostrum ille moriens apud Mantineam Epaminondas non cum quadam
miseratione delectat : qui tum denique sibi evelli iubet spiculum, postea quam ei
percontanti dictum est, clypeum esse salvum ; ut etiam in vulneris dolore aequo
animo cum laude moreretur. ... Viri saepe excellentis ancipites variique casus habent
admirationem, exspectationem, laetitiam, molestiam, spem, timorem. Si vero exitu
notabili concluduntur, expletur animus iucundissima lectionis voluptate.
Cic.
ep. l. 5. ep. ad Lucceium.
Le passage se trouve dans les Epistularum ad familiares (voir bibliographie), livre cinq : Ad Q. Metellum et Ceteros, lettre XII : « Nihil est enim
aptius ad delectationem lectoris quam temporum varietates fortunaeque vicissitudines:
quae etsi nobis optabiles in experiendo non fuerunt, in legendo tamen erunt iucundae,
habet enim praeteriti doloris secura recordatio delectationem; ceteris vero nulla
perfunctis propria molestia, casus autem alienos sine ullo dolore intuentibus etiam ipsa
misericordia est iucunda. Quem enim nostrum ille moriens apud Mantineam Epaminondas non
cum quadam miseratione delectat? qui tum denique sibi evelli iubet spiculum, posteaquam
ei percontanti dictum est clipeum esse salvum, ut etiam in vulneris dolore aequo animo
cum laude moreretur. Cuius studium in legendo non erectum Themistocli fuga redituque
retinetur? etenim ordo ipse annalium mediocriter nos retinet quasi enumeratione
fastorum: at viri saepe excellentis ancipites variique casus habent admirationem
exspectationem, laetitiam molestiam, spem timorem; si vero exitu notabili concluduntur,
expletur animus iucundissima lectionis voluptate. »
Rien n'est plus propre, dit Cicéron, à faire sur un lecteur une
impression agréable, que la variété des événements
&
et
les vicissitudes de la fortune. A-t-on été malheureux ? Le souvenir de
ces maux dont on est délivré, a des charmes. Ceux mêmes qui n'ont jamais éprouvé de
revers, lorsqu'ils sont les tranquilles témoins des malheurs d'autrui, trouvent du plaisir dans la compassion que ces infortunes font naître. Qui
de nous, n'éprouve pas ce sentiment tout-à-la-fois triste
&
et
gracieux, en voyant Epaminondas blessé à mort, à la journée de Mantinée, ne
permettre qu'on arrachât le fer de sa blessure, qu'après avoir appris que son bouclier
etait retrouvé,
&
et
avec cette tranquillité au milieu des plus vives douleurs, mourir sans peine
en emportant toute sa gloire dans le tombeau ? Les hasards, ajoute-t-il, que court
un homme d'un mérite distingué, enfantent la surprise, la curiosité, la joie,
l'inquiétude, l'espérance, la crainte :
&
et
si la catastrophe a quelque chose de frappant, l'esprit goûte alors un plaisir
parfait dans la lecture de ces événements. »
L'orateur romain, comme vous voyez,
s'accorde avec vous,
&
et
renferme sous un seul coup d'œuil, ce double intérêt dont nous parlons : il
veut que notre récit affecte non seulement ceux qui se sont trouvés dans des circonstances
à-peu-près semblables à celles que nous décrivons, mais qu'il puisse faire impression sur
les cœurs les plus indifférents.
Je vois parfaitement, reprit Timagène, ce qu'il exige de
nous. Mais quel moyen, s'il vous plaît, d'agir également sur tant de caractères différents
dans les différents hommes,
&
et
même dans les différents peuples. L'Espagnol est fier jusque dans la
misère ; il demande l'aumône, du ton dont il exigerait une dette. L'Anglais est
profond, froid
&
et
réservé jusque dans ses plaisirs ; il rit sérieusement. Le Français est
délicat
&
et
léger, même dans sa sensibilité : pour peu qu'on ne s'y prenne pas bien, en
voulant lui arracher des larmes, on le porte à rire, où l'on excite ses dégoûts.
Je l'avoue, répondit Euphorbe, il n'est pas aisé d'intéresser tout le monde. Cependant,
pour y réussir, autant qu'il est possible, je voudrais, dans les ouvrages de pure fiction,
imaginer des événements analogues, d'abord aux
sentimens
sentiments
que la nature a gravés dans le cœur de tous les hommes,
&
et
d'ailleurs capables de faire une impression plus particulière encore, sur telle
ou telle société pour laquelle je me proposerais d'écrire. Dans les récits où l'exactitude
de la vérité ne laisserait plus de liberté à mon choix, je rapprocherais certaines circonstances frappantes ; j'entrerais dans certains
détails intéressants ; je m'étendrais plus volontiers sur certains faits de l'espèce
de ceux dont vous venez de parler. Ces faits sont ceux qui ont plus de rapport, non
seulement avec les idées de tout ce qui pense, mais qui sont plus conformes aux goûts, à
la situation, aux usages d'un grand peuple,
&
et
propres à les affecter par les conséquences qu'ils peuvent avoir pour lui. La
vie des hommes en présente toujours un grand nombre de ce genre. C'est à l'habileté de
l'écrivain d'en faire son profit.
Voilà précisément, interrompit Timagène, ce que j'admirais, il n'y a qu'un moment, dans
Virgile. J'avais douté longtemps s'il convenait à un auteur, surtout dans la carrière
sérieuse de l'histoire, d'étudier les goûts de ses lecteurs ; mais je vois maintenant
que, sans blesser la vérité, on peut flatter certains préjugés légitimes, ou innocents,
pour rendre la vertu plus aimable,
&
et
peindre le vice sous les couleurs odieuses qu'il mérite. Les insulaires, nos
voisins
&
et
nos rivaux, sont jaloux de la liberté plus qu'aucun autre peuple. C'est
peut-être un fantôme ; mais enfin, ils en sont épris. Serait-il défendu de chercher
à leur plaire, en peignant avec plus de force les hauts
faits de ceux qui ont combattu pour elle ? Ne peut-on pas même les faire convenir
adroitement des malheureux effets que produit cet enthousiasme, lorsqu'il est aveugle,
&
et
qu'il n'a plus de règle ? Nous naissons avec l'amour pour nos
souverains : ne doit-on pas savoir gré à un auteur, qui s'attache à rapprocher sous
les yeux des Français, ces prodiges de dévouement dont leur histoire fait mention ?
L'héroïsme des anciens habitans de Calais a produit sur la scène
un
une
espece
espèce
d'enchantement ; il a rendu des milliers de spectateurs émules de leur
gloire,
&
et
leur a fait sentir qu'ils
étoient
étaient
disposés à agir comme eux, si leur fidélité
étoit
était
mise à la même épreuve. Passer légèrement sur des détails de cette espèce, ce
serait dérober au lecteur la partie la plus agréable
&
et
la plus utile de l'histoire. Ce fut là, je n'en doute pas, l'espèce de magie
qu'employa Tyrtée, pour ramener au combat les Spartiates découragés,
&
et
leur faire effacer, par une victoire éclatante, leurs premières défaites.Tyrtée (Τυρταῖος), poète spartiate du VIIe siècle av. JC. En effet
on se passionne alors, on prend parti dans des objets dont on est séparé par les temps
&
et
par
les
lieux,
&
et
l'on conçoit une vive impatience ce d'apprendre le succès d'un événement qu'on
regarde comme sa propre affaire.
Cette impatience dont vous parlez, reprit Euphorbe,
&
et
qui naît de l'intérêt, peut quelquefois tenir sa place,
&
et
le suppléer. Elle a même souvent une origine différente de la sienne : elle
est produite par la curiosité naturelle à l'homme. Si l'écrivain sait bien ménager cette
passion, elle attache ; elle produit presque tous les effets que vous venez de
détailler avec complaisance ; on la prendrait pour l'intérêt lui-même.
C'est, sans doute, pour exciter cette curiosité, poursuivit Timagène, que la plupart des
auteurs font des préfaces, des prologues, des avant-propos ;
&
et
qu'ils annoncent leur sujet le plus magnifiquement qu'il est possible ; tel
que cet écrivain du dernier siècle, qui débute dans une histoire romaine à-peu-près par
cette phrase : Je vais suivre dans son vol cet aigle rapide, qui couvrit l'univers
entier de ses ailes. Un mauvais plaisant
auroit
aurait
pu dire, qu'il
faisoit
faisait
bon alors : qu'on
avoit
n'avait
rien à craindre de la pluie, ni du soleil.
Vous avez raison de dire un mauvais plaisant, répliqua Euphorbe ; car la
plaisanterie ne serait pas des meilleures.
Au reste, la pensée gigantesque de l'auteur mérite bien une
raillerie. Il est bon, sans doute, d'exposer le sujet qu'on traite : mais, selon le
précepte d'Horace,
Art. Poët.
Art poétique,
v. 136 il faut le faire avec modestie. C'est se ruiner d'avance, que de
prendre de trop grands engagements. Le lecteur se met en garde contre ces magnifiques
promesses ; ils devient plus difficile, ou peut-être il conçoit une si haute idée du
sujet, qu'il est presque impossible à l'auteur d'y répondre dans la suite. En effet, avoir
à remplir l'attente du public trop prévenu en faveur d'un ouvrage,
&
et
succéder dans une place éminente à un homme du premier mérite, sont deux
situations à peu près pareilles : l'une
&
et
l'autre demande des efforts extraordinaires. Il est, je crois, un moyen plus
adroit
&
et
moins dangereux d'exciter la curiosité. Il consiste à imiter ces peintres, qui
d'un beau morceau d'architecture ne laissent appercevoir qu'une partie de l'entablement
&
et
quelques colonnes,
&
et
jettent sur tout le reste un grand voile. Un objet qui ne se découvre qu'à
moitié, irrite les désirs,
&
et
met en jeu l'imagination, qui se figure dans(Desit : citer passage,
et traduction . commenter voile/imagination : Lessing, peinture .)
ce qu'elle ne voit pas, plus de beautés, peut-être, qu'il
n'en renferme. Ainsi, je conseillerais à un écrivain, d'exposer son sujet de manière à en
donner une idée générale, mais qui fasse désirer beaucoup plus que ce qu'on en dit :
surtout d'être très attentif à ne point présenter trop tôt le succès des grands
événements, le dénouement d'une intrigue importante, l'issue d'un projet intéressant. Si
on les laisse entrevoir, ce doit être à travers un nuage épais,
&
et
dans un point de vue si éloigné, que ce coup d'œil augmente l'impatience
qu'avait déjà le lecteur de les examiner à loisir
&
et
de plus près.Bérardier fait allusion au même principe dans
le quatrième entretien, page
234).
N'est-ce point là, reprit Timagène, ce que les rhéteurs appellent sustentation, ou
suspension ?
Précisément, répondit Euphorbe.Henri Morier définira la 'suspension'
de la manière suivante : « Figure qui consiste à piquer la curiosité de
l'auditeur ou du lecteur, à lui faire pressentir une chose dont on retarde ensuite
l'énoncé, afin de mieux combler son attente ou de surprendre davantage ». Voir
Henri Morier, Dictionnaire de poétique et de rhétorique, 1961
(voir bibliography), p.
417.
Desit: définition Fontanier
Ainsi, poursuivit Timagène, ce que l'orateur doit pratiquer dans quelques endroits de son
discours, ou même dans quelques phrases en particulier, le narrateur est tenu de
l'observer, dans tout le cours de son ouvrage ?
N'en doutez pas, reprit Euphorbe, s'il veut fixer l'attention toujours volage
&
et
sujette à l'ennui. C'est là ce qui nous tient en suspens, en lisant un récit
sorti de la plume d'un bon auteur. Puisque nous voici arrivés
près du logis, entrons dans mon cabinet ; nous y verrons, dans différents auteurs,
des exemples qui confirmeront cette règle.
Euphorbe étant entré, prit dans la bibliothèque un volume de Sénéque,
&
et
poursuivit de la sorte. Voici une lettre que le fameux précepteur de Néron écrit
à un de ses amis.Chaque jour, chaque heure nous démontre notre néant,
&
et
nous donne quelque nouvel avertissement qui nous rappelle notre fragilité, en
nous portant au-delà du temps,
&
et
nous forçant de fixer les jeux sur la mort. Que signifie ce début,
direz-vous ? Vous connaissiez Sénécion Cornélius, ce généreux chevalier romain, cet
ami toujours prêt à rendre service : il se devait à lui-même tout ce qu'il
était ;
&
et
la carrière qui lui restait encore à fournir,
étoit
était
aisée ; car les premiers pas vers les honneurs sont toujours les plus
difficiles. Il semble aussi que, [p.126] pour enrichir un homme, la Fortune est obligée
de faire de plus grands efforts aux premiers moments où il sort de l'indigence. Sénécion
pouvoit
pouvait
espérer un jour de grandes richesses. Il en
avoit
avait
pour garants, deux moyens infaillibles ; une adresse merveilleuse, pour
acquérir du bien,
&
et
un talent rare pour le conserver. L'un des deux eut suffi, pour en faire un
homme opulent. Eh bien ! ce citoyen de la plus grande sobriété, aussi attentif au
soin de sa santé, qu'à celui de ses biens, après m'avoir rendu visite le matin, à son
ordinaire, après avoir passe tout le jour auprès du lit d'un ami grièvement malade
&
et
sans espérance, après avoir soupé d'un air gai, a été attaqué d'une
esquinancie subite
&
et
cruelle, qui lui a laisse à peine [p.127] assez de respiration pour aller
jusqu'au jour. Il s'était acquitté des devoirs d'un homme plein de santé ; dans
l'espace de quelques heures, il a été étouffé. Ep. 101.
Omnis dies, omnis hora, quam nihil fimus ostendit,
&
et
aliquo argumento recenti admonet fragilitatis oblitos, cum æterna méditantes
respicere cogit ad mortem. Quid sibi istud principium velit quæris ? Senecionem
Cornelium equitem Romanum splendidum
&
et
officiosum noveras: ex tenui principio se ipse promoverat,
&
et
jam illi declivis clivis erat curjus ad cætera.
Facilius enim crescit dignitas, quam incipit. Pecunia quoque circa paupertatem plurimam
moram habet, dum exilla ereptat. Hic etia Senecio divitiis imminebat, ad quas illum duæ
res ducebant efficacissimæ,
&
et
quæerendi
&
et
custodiendi scientia. Quarum vel altera locupletem facere potuisset. Hic homo
summæ frugalitatis, non minus patrimonii quam corporis diligens, cum me ex consuetudine
mane vidisset, cum per totum diem amico graviter affecto,
&
et
fine spe jacenti, usque in noctem assedisset, cum hilaris cænasset, genere
valetudinis præcipiti abreptus, angina, vix compressum
arctatis faucibus spiritum traxit in lucem. Intra paucissimas ergo horas, postquam
omnibus erat sani ac valentis officiis functus, decessit.
Dites-moi, je vous
prie, que pensez-vous de ce morceau ?
Ce que j'en pense, répondit Timagène ? D'abord, je vous avoue que si vous ne
m'eussiez pas nommé l'auteur, j'aurais eu peine à le reconnaître. Je n'aurais pas imaginé
que la première phrase fut sortie de la plume d'un
payen
païen
.
Votre réflexion, repartit Euphorbe, me donne occasion d'en faire une autre. Lucrèce
&
et
Sénèque ont paru à soixante ans l'un de l'autre ; tous deux sont
philosophes ; tous deux ont quelque obscurité dans leur style. On ne peut refuser au
dernier beaucoup d'esprit, peut-être trop, un raisonnement plus suivi,
&
et
une grande abondance. Lucrèce est traduit, est lu avec avidité, avec
enthousiasme ;
&
et
Sénèque trouve à peine quelques lecteurs.Rappelons que
Bérardier de Bataut est le traducteur en vers français de L’Anti-Lucrèce de Melchior de Polignac. C'est que l'un est le chantre de
la volupté,
&
et
l'autre, l'orateur (Desit: vérifier latin, passage, et manière de séparer
texte et note.)
de la raison
&
et
de la vertu. Mais revenons à notre objet. De quelle manière vous sentiez-vous
affecté, pendant la lecture de cette lettre ?
De façon, répondit Timagène, que j'ai été sur le point de vous interrompre, pour vous
demander où aboutirait enfin tout ce détail.
Vous voyez donc, continua Euphorbe, que cette impatience est
un
une
espece
espèce
d'
éguillon
aiguillon
qui pique la curiosité,
&
et
fait prendre un intérêt plus vif à l'événement, qui vient enfin la satisfaire,
pourvu cependant qu'il mérite par lui-même cet appareil ; car s'il n'avait rien que
de bas
&
et
de commun, nous serions indignés qu'on nous eût fait acheter si cher une
bagatelle.
Pourquoi donc admirons-nous, reprit Timagène, la fameuse épigramme de Scarron, connue de
tout le monde, qui commence par une apostrophe pompeuse à tous les monuments de
l'antiquité, pour nous apprendre à la fin, que le pourpoint de l'auteur est percé par le
coude ? Fût-il jamais rien de si trivial ?
Dans ces sortes d'occasions, répliqua Euphorbe, l'ironie est sensible. Qn s'aperçoit
aisément que le poète n'a prétendu que nous amuser
&
et
nous faire rire. Alors plus la chute est éloignée
de ce qu'on
avoit
avait
imaginé, plus la surprise est agréable. C'est une de ces allées de jardin qui
semble s'allonger à perte de vue : on s'avance,
&
et
l'on rencontre à quarante pas un fossé qu'on n'avait pas découvert,
&
et
à qui l'expression de l'étonnement ordinaire en pareil cas, a fait donner sa
dénomination. L'abbé de Saint-Réal nous fournit un exemple de cette dernière
espece
espèce
de suspension, en rapportant un jugement singulier de l'empereur Charles-Quint.
Écoutez comme il raconte ce fait.S. Réal. Disc. 6.
Saint-Réal, Conjuration des Espagnols 1674 (voir
bibliographie), discours
6.
Desit: pages.
Pour comprendre toute l'étendue du sens de cette action de
Charles-Quint, il faut se représenter la magnificence
&
et
la majesté sans égale de la cour de cet empereur à Bruxelles, c'est-à-dire,
dans le lieu de tous ses états, où elle
étoit
était
plus belle, plus libre
&
et
plus nombreuse ; qui
étoit
était
comme le centre de sa puissance,
&
et
où les Allemands, les Italiens
&
et
les Espagnols se trouvaient tous en égale considération
&
et
sans aucune prééminence. Dans cette cour, si qualifiée,
&
et
si remplie de (Desit : identifier passage .)
courtisans d'un rang dont il ne s'en trouve plus, depuis le
temps qu'à Rome on comptait des rois parmi ce nombre, il faut encore s'imaginer deux
femmes de la première qualité, qui sont en différend pour le pas dans une église,
&
et
dont l'empereur, apparemment pour empêcher les querelles que cette
contestation
pouvoit
pouvait
faire naître, voulut être l'arbitre. Qui pourrait se figurer les brigues, les
cabales, les sollicitations, les recommandations, les titres, les mémoires, les
préjugés,
&
et
enfin tous les moyens qu'on a coutume d'employer de part
&
et
d'autre dans ces occasions,
&
et
en même-temps la patience
&
et
la sage tolérance de l'empereur, de laisser évaporer toutes ces fumées à
loisir, sans en être aveuglé, bien éloigné de s'en entêter lui-même, comme la plupart
des princes font de ces sortes de choses ? Qu'on se figure donc le jour qu'il
devait juger cette importante affaire, arrivé ; l'attente générale de tout le
monde, les désirs
&
et
les espèces opposés des divers partis, les gageures des fols
&
et
les prédictions des prétendus sages , le lieu
&
et
la solemnité de l'assemblée, les cérémonies qui
l'accompagnèrent, la présence
&
et
l'inquiétude des parties,
&
et
la gravité de l'empereur : il n'est assurément personne, à présent non
plus qu'alors, qui s'attendît que ce prince pour tout règlement dût ordonner comme il
fit, que la plus folle des deux passât devant. Ce fut tout le
contenu de son arrêt »
. Il est difficile, assurément, de mieux préparer l'esprit
à une catastrophe aussi plaisante.
Il me semble, dit alors Timagène, qu'entre nos historiens, un de ceux qui a le mieux
réussi à mettre en mouvement cette curiosité, dont nous parlons, est l'auteur des Révolutions d'Angleterre. Il laisse attendre l'issue des évenements,
sans l'annoncer trop tôt. Permettez qu'entr'autres, je vous fasse la lecture d'un endroit,
qui m'a toujours attaché singulièrement. C'est la conjuration du comte de Derby, depuis
duc de Lancastre, contre Richard II. Le comte, alors exilé, s'était retiré en France.
Voici comment s'exprime l'historien:
Révol. d'Angl. l. V
Révolution d'Angleterre, livre V
.Le comte
étoit
était
veuf, quoiqu'il n'eût encore que trente ans. Il
étoit
était
aimé à la cour de France pour ses manières douces
&
et
polies ; de sorte que le duc de Berry, oncle du Roi Charles,
&
et
puissant dans l'état, pensait à lui faire épouser la princesse Marie, sa
fille, jeune veuve de deux maris. L'affaire allait être conclue, lorsque Richard en fut
averti. Comme toute la politique de ce prince allait à empêcher que le comte ne
retournât en Angleterre, où sa présence rendait encore redoutable les restes de la
faction de Glocestre, qui ne
pouvoient
pouvaient
nuire sans lui, il appréhenda que cette alliance ne l'engageât à le rappeller,
&
et
résolut d'y mettre obstacle. Pour cela, il envoya en France le comte de
Salisbery, avec ordre de représenter au Roi le préjudice que ce mariage apporerait à ses
affaires
&
et
au repos de son état..... Le comte de Salisbery s'acquitta si bien de sa
commission, que Charles, qui aimait tendrement la jeune Reine d'Angleterre, sa fille,
&
et
avec qui le Roi, son gendre, en
avoit
avait
toujours bien usé, se résolut de rompre ce mariage. Il le signifia au duc de
Berry,
&
et
en avertit le duc de Bourgogne, qui, ayant pris la commission de repondre au
comte de Derby, quand il viendrait demander la princesse,
lui dit, que le Roi
&
et
les princes de son sang ne
pouvoient
pouvaient
se résoudre à donner leur parente en mariage à un traître, ajoutant, pour se
disculper de la dureté de cette parole, qu'elle
étoit
était
venue d'Angleterre. Ce fut aussi contre le Roi d'Angleterre que le comte de
Derby tourna tout le chagrin qu'il en conçut. Il attendait l'occasion de s'en venger,
lorsqu'un contre-temps de Richard lui ouvrit un chemin facile à quelque chose de plus
que la vengeance.
Ne voilà-t-il pas, interrompit Euphorbe, ce tableau dont nous parlions il n'y a qu'un
instant, où l'objet ne se montre qu'à demi, pour se faire désirer davantage ?
Après ce peu de mots, Timagène poursuivit sa lecture.
Les Irlandais s'étaient révoltés,
&
et
avoient
avaient
tué le comte de la Marck, héritier présomptif de la couronne. Richard en fut
si offensé, qu'il résolut de marcher en personne contre les rebelles d'Irlande, ne
faisant pas réflexion que les factieux d'Angleterre, que sa personne tenait en bride, ne
manqueraient pas de profiter de son éloignement, pour
fortifier leur cabale,
&
et
pour prendre des mesures contre lui, qu'il
pouvoit
pouvait
aisément prévenir ; mais qu'il lui serait difficile de rompre. C'est
ainsi qu'il en arriva..... Richard passa en Irlande ; dompta les Irlandais, et,
sans les tristes nouvelles qu'il reçut d'Angleterre, il
auroit
aurait
imposé le joug aux plus sauvages de ces insulaires. Ce fut pendant qu'il les
poursuivait que la faction de Glocestre, trompant aisément les vues médiocres du duc
d'York, travailla à faire passer le sceptre Anglais en d'autres mains.......
L'archevêque de Cantorbery fut chargé de la part de tous les factieux, d'aller proposer,
de leur part, au compte de Derby de monter sur le trône,
&
et
la commission ne lui déplût pas. Il partit, lui septième, sous prétexte d'un
pélerinage à S. Maur-des-Fossés, et, s'étant déguisé en moine, il arriva à Paris sans
être connu. Ses lettres de créance le firent connaître au comte, qui demeurait alors à
Bicêtre, maison de
campagne de campagne
campagne
du duc de Berry, où il eut toute la liberté
&
et
tout le loisir de l'entretenir. Soit conscience, soit timidité, le comte fut
d'abord effrayé de la proposition du prélat : il n'avait pas l'âme naturellement
mauvaise, et, pour commettre un aussi grand crime que
celui qu'on lui proposait, il
avoit
avait
besoin d'être poussé par quelque chose de plus fort que son ambition. De plus,
quoiqu'il fût brave, les périls qui accompagnent ces sortes d'entreprises, ne laissèrent
pas de lui faire craindre l'issue de celle dont il s'agissait ; et, comme il
étoit
était
sensible à la gloire, il eut peine à s'embarquer dans une affaire, dont il n'y
a que le succès, toujours hazardeux
&
et
incertain, qui puisse épargner quelque chose de l'éternelle infamie qui la
suit. On peut penser que l'archevêque n'oublia pas son éloquence, pour réussir dans une
négociation, où il cherchait à venger la mort d'un frère,
&
et
à finir son exil. Il représenta vivement au comte, le mauvais gouvernent de
Richard, la haine qu'on
avoit
avait
pour lui, l'oppression des grands
&
et
du peuple, l'injure faite aux princes du sang, par la mort du duc de
Glocestre, par son propre exil, par l'injuste confiscation de la duché de Lancastre,
l'opiniâtreté qu'on
avoit
avait
à lui fermer l'entrée de l'Angleterre, qui lui tendait les bras pour le
recevoir,
&
et
qui lui ouvrait un chemin sûr
&
et
facile pour monter au trône : que l'affaire
étoit
était
concertée d'une manière à ne pouvoir manquer : que le monarque
étoit
était
absent : que le Régent ne se doutait de rien : qu'il parût
seulement,
&
et
que bientôt il verrait fondre autour de lui tout ce qu'il y
avoit
avait
de capitaines
&
et
de soldats dans le royaume, qui lui composeraient une armée, devant laquelle
celle de Richard, à demi ruinée dans un pays où elle
avoit
avait
beaucoup souffert, n'aurait pas l'audace de se montrer. Quelque impression que
ces raisons fissent sur le comte de Derby, quelque piqué qu'il fut, quelque charme
qu'eut pour lui la couronne, il fit voir qu'au moins jusque-là, il n'avait jamais pensé
a s'en emparer, puisque tout ce que lui put dire l'archevêque, ne fit autre chose que
l'ébranler,
&
et
qu'il voulut, pour le déterminer, communiquer l'affaire à un
espece
espèce
de conseil qu'il s'était fait d'un petit nombre de domestiques
&
et
d'amis qui
avoient
avaient
suivi sa fortune. Ce conseil ne balança pas, et, tout d'une voix, on fut
d'avis qu'il profitât d'une occasion qu'il ne recouvrerait jamais, si elle lui échappait
une fois, de relever sa Maison opprimée et de monter sur le
trône, où les vœux des peuples qui l'y appelaient, ne
faisoient
faisaient
qu'anticiper des quelque temps les prétentions qu'il y avait. Le comte n'avait
pas assez de vertu, pour résister à tant de mauvais conseils
&
et
à de si douces espérances. Il se détermina enfin,
&
et
ayant pris de justes mesures pour l'exécution de son dessein, dont une des
plus sages, fut de le cacher à la cour de France, sous prétexte d'aller rendre une
visite au duc de Bretagne, son ami, de l'assistance duquel il
avoit
avait
besoin, il prit congé du Roi,
&
et
alla trouver le duc. Il en fut si favorablement reçu, qu'il crut pouvoir avec
sûreté lui faire confidence d'une partie de son secret,
&
et
lui demander du secours pour rentrer dans ses biens paternels, ne s'étant
ouvert de rien de plus. En effet, le duc lui donna des vaisseaux
&
et
des hommes même, sous la conduite de Pierre de Craon ; mais en petit
nombre, l'un
&
et
l'autre jugeant bien que le succès de l'entreprise ne dépendait pas du plus ou
du moins d'hommes qu'on pourrait mener de dehors, mais de ce qu'on en trouverait
au-dedans. Ce fut le commencement de juin, que le comte de
Derby, qui prit alors le nom de duc de Lancastre, partit de Vannes avec trois navires,
&
et
qu'après deux jours de trajet, ayant un peu rodé les côtes, pour découvrir si
on ne se préparait point à s'opposer à son débarquement, il prit paisiblement terre à
Plymouth. L'archevêque, son guide fidèle, ne perdit point de temps,
&
et
dépêcha à Londres avértir les chefs du parti, que le duc les allait trouver.
Les mesures
étoient
étaient
si bien prises,
&
et
la faction en
étoit
était
si sûre, qu'à peine se donnât-on la contrainte de garder quelques heures le
secret, jusqu'à ce qu'on eût fait une assemblée chez le maire, à qui l'archevêque
avoit
avait
adresse son paquet. Il s'y trouva tant de monde,
&
et
les esprits parurenr dans un si grand mouvement, qu'en un moment toute la
ville fut remplie de cette nouvelle. La joie qu'elle causa fut extrême. On cria partout,
Vive Lancastre. Le maire monta à cheval à la tête de cinq cents chevaux, pour aller
au-devant du duc,
&
et
cette troupe fut suivie de tant d'autres, qui, de moment en moment, sortaient
de la ville, pour aller sur le même chemin, que le prince se trouva insensiblement à la tête d'une petite armée, avant que d'arriver à
Londres. Quand il fut plus près de la ville, tout le peuple sortit en foule, dans
l'impatience de le voir ;
&
et
d'aussi loin qu'on le vit, on recommença les acclamations
&
et
les cris de joie, qu'il fit redoubler par sa bonne mine, par l'air affable
dont il les saluait en passant,
&
et
par les espérances qu'il leur donnait d'un gouvernement plus à leur gré. Comme
toutes choses
étoient
étaient
concetées, on ne perdit point de temps en délibérations ;
&
et
le duc voulant profiter du mouvement où
étoient
étaient
les esprits, se prépara à se mettre en marche, pour s'assurer du reste du
royaume,
&
et
combattre Richard, s'il osait paraître.... Ce prince
avoit
avait
reçu ces nouvelles en Irlande,
&
et
étoit
était
repassé dans la principauté de Galles. Les historiens contemporains ne disent
point de quel côté : les nouveaux le devinent ; les uns
&
et
les autres parlant si diversement des mesures que l'infortuné monarque
avoit
avait
prises pour résister à l'usurpateur, qu'on n'en peut rien dire de sûr. Ce qui
est de vrai, c'est qu'elles lui manquèrent toutes par la désertion de ses sujets, même
de la plupart de ceux qui, jusque-là,
avoient
avaient
paru lui être attachés. Le duc d'Yorck même, selon son génie,
&
et
ne croyant pas être obligé de pousser sa fidélité, jusqu'à troubler plus
longtemps son repos, qu'il aimaait par-dessus toutes choses, s'acccommoda avec le
vainqueur. Quelques-uns disent que Richard, voyant cette désertion générale, congédia la
meilleure partie de sa Maison, leur faisant dire par Thomas Percy, duc de Vorchestre,
son sénéchal, qu'ils se réservassent à une meilleure fortune. D'autres écrivent que ce
seigneur, qui
étoit
était
frère du comte de Northumberland, étant entré dans les sentimens de sa
famille, rompit publiquement le bâton, qui
étoit
était
la marquç de sa charge,
&
et
alla trouver l'usurpateur, auprès duquel le comte, son frère, s'était rendu
tout des premiers. Quoi qu'il en soit, le malheureux roi se voyant ainsi abandonné,
s'abandonna aussi lui-même. Sa disgrâce l'abattit tellement, que, ni ce noble désespoir
qui est la dernière ressource des grands courages, ni cette espérance héroïque qui tente
tout avant que de rien désespérer, ne trouva place dans son cœur. Il ne sut ni périr en
roi, ni se (Desit : majuscules Roi, Maison .)
conserver en homme sage, pour remonter sur le trône dans un
meilleur temps. Il
pouvoit
pouvait
repasser en Irlande, de là se retirer en France, où le Roi Charles, son
beau-père, qui l'aimait véritablement,
&
et
qui
étoit
était
même intérressé, à cause de sa fille, à le maintenir, lui eût ouvert un
asyle
asile
honnête, en attendant qu'il le pût rétablir, ou par une négociation, ou par
les armes. Au lieu de prendre ce parti, il prit celui de s'aller renfermer avec un assez
petit nombre de soldats, dans le château de Flint, proche Chester, où on lui dit qu'il
pourrait tenir jusqu'à ce que le duc d'Excester, son frère,
&
et
quelques autres de ses amis dipersés lui amenassent du secours. Pendant ce
temps-là le duc approchait. Il
avoit
avait
déjà pris Bristol, où il
avoit
avait
fait trancher la tête au grand trésorier de Richard,
&
et
à quelques autres de ses ministres qui s'y
étoient
étaient
réfugiés. Ensuite de quoi, ayant appris que le prince fugitif
étoit
était
à Flint, il marcha de ce côté-là avec toute son armée. Il n'en
étoit
était
plus qu'à deux lieues, lorsque faisant réflexion que l'esprit des Anglais
étant envenimé au point qu'il l'était contre le Roi, il serait difficile de le garantir de leur fureur à leur arrivée, s'il n'avait pris
quelques devants ;
&
et
ce prince ne voulant pas souiller sa réputation d'un crime aussi affreux que
celui-là, il fit faire halte à son armée, déclara que son dessein
étoit
était
de la précéder de quelques moments, pour engager le Roi à sortir
volontairement de sa forteresse,
&
et
à n'attendre pas qu'on l'y forçât. Il ajouta qu'il ne
pouvoit
pouvait
se dispenser de garder ces mesures de modération en cette rencontre,
&
et
qu'il y
étoit
était
résolu. Ce ménagement ne fut pas désapprouvé de ceux à qui le duc le
proposa ; mais il leur donna de la défiance,
&
et
ils ne purent s'empêcher de lui dire, avec plus de liberté que ne
sembloit
semblait
permettre leur aveugle dévouement, qu'il y
auroit
aurait
du danger pour lui à rien relâcher en faveur du Roi, des desseins que l'on
avoit
avait
pris pour son emprisonnement,
&
et
pour sa déposition ; qu'il fallait le mener à Londres,
&
et
le renfermer dans la tour : que l'armée l'entendait ainsi,
&
et
qu'elle ne souffrirait jamais qu'on lui donnât le change là-dessus. Ces
remontrances
étoient
étaient
si conformes aux intentions du duc de Lancastre, qu'il n'eût pas de peine à
promettre d'y avoir une entière déférence. Ainsi, ayant
rassuré les esprits,
&
et
ordonné que l'armée continuât sa marche ordinaire, il prit deux cent chevaux
avec lui,
&
et
se rendit aux portes de Flint. Il les trouva fermées ; mais son nom, qui
portait la terreur partout, les lui eut bientôt fait ouvrir, avec une condition
néanmoins qu'il accepta imprudemment,
&
et
qui lui devait être funeste, si le Roi eût été aussi capable d'une résolution
hardie, qu'il l'avait été d'une précaution sage : car il fut arrêté entr'eux, que
le duc entrerait lui douzième. Que n'avait-il point à craindre d'un homme, qui étant sur
le point de tout perdre, ne voyait de salut qu'à ne rien ménager ? Le même principe
qui l'avait rendu téméraire, le rendit fier. Etant entré où
étoit
était
le Roi, qui sortait de la chapelle, après avoir ouï la Messe, sans autre
préparation de discours, il lui demanda s'il
étoit
était
à jeun, lui conseilla de manger, parce qu'il fallait incessamment partir pour
Londres où on l'allait mener. Le Roi fut saisi à cette parole,
&
et
sa frayeur redoubla beaucoup, quand, après quelque temps d'entretien, il vit
paraître l'armée du duc, qui couvrait toute la campagne. Le
Roi demanda ce que c'était ; à quoi le duc ayant répondu, que c'était des troupes
la plupart composées des habitants de Londres, qui le cherchaient pour l'emmener
&
et
le renfermer dans la tour. Ignorez-vous, répliqua le
Roi, la haine qu'ils ont contre moi ? Si je me mets entre leurs
mains, qui me garantira de leur fureur ? hé quoi ne savez-vous point de moyen de
me tirer de ce danger ? Le duc, qui n'était pas fâché d'avoir le Roi en la
disposition par plus d'un titre, répartit, qu'il ne savait qu'une voie de le mettre à
couvert des insultes de ce peuple si irrité, qui
étoit
était
qu'il se rendît à lui,
&
et
qu'il se fît son prisonnier ; que par-là acquérant sur sa personne un
droit que les lois de la guerre
avoient
avaient
toujours rendu inviolable, il serait maître d'empêcher qu'on n'entreprît rien
sur sa vie. L'amour de la vie
étoit
était
devenue la seule passion du faible monarque ; et, ce qui est un exemple
mémorable de la bizarrerie de l'esprit humain, ce prince, qui plus d'une fois l'avait
exposée lorsqu'elle
étoit
était
heureuse, sacrifia tout pour la conserver lorsqu'elle devint misérable. Ainsi,
fermant les yeux à sa gloire,
&
et
oubliant qu'étant né Roi, il ne pouvait, sans avouer qu'il
étoit
était
indigne de l'être, renoncer à sa liberté, il prit les fers qu'on lui
proposait,
&
et
trouva en effet sous la protection du duc, la triste
&
et
honteuse sûreté qu'il
avoit
avait
si chèrement achetée ?
Je ne sais si vous pensez comme moi, continua Timagène ; mais il me semble que,
pendant tout ce récit, le lecteur est dans une douce émotion, qui lui fait désirer
ardemment l'issue de cette intrigue. La vengeance que médite le comte de Derby n'est point
expliquée trop clairement : ses délibérations
&
et
son incertitude aux propositions de l'archevêque de Cantorbery éloignent l'idée
d'une usurpation : lorsqu'il s'est enfin décidé
&
et
qu'il s'avance vers Londres, on s'attend que son débarquement ne sera point
tranquille ; que Richard, de retour d'Irlande, lui opposera une armée
victorieuse : la résolution que prend l'usurpateur de devancer son armée,
&
et
la défiance que cette démarche inspire à ses officiers tient encore en
suspens ; enfin l'imprudence même avec laquelle il entre, lui douzième, dans le
château de Flint, fait naître un nouveau (Desit: référence du passage.)
rayon d'espérance en faveur du malheureux monarque. Au reste,
j'aurais volontiers dispensé l'auteur de la réflexion qu'il insère dans cet endroit, que
l'imprudence du duc lui devait être funeste, Si le Roi eût été aussi
capable d'une résolution hardie, qu'il
avoit
avait
été d'une précaution sage. Elle m'instruit trop tôt, que Richard ne
profita point de l'occasion qui se présentait de se défaire d'un rebelle.
Ce morceau est fort intéressant, reprit Euphorbe,
&
et
peut-être ne laisserait-il rien à désirer, si on en retranchait quelques
réflexions trop fréquentes,
&
et
quelques négligences de style. Mais cet intérêt que vous y trouvez avec raison,
&
et
qui naît de la curiosité, devient infiniment plus vif, lorsqu'on peut faire au
lecteur la confidence d'un secret important, ignoré des autres principaux personnages.
Vous vous rappellez l'effet surprenant de cette belle scène de Corneille,Dans Cinna ou la Clémence d’Auguste, tragédie de
Pierre Corneille créée au Théâtre du Marais en 1639 et publiée en 1643. Dans cette
pièce, par ailleurs, il y a un personnage secondaire nommé Euphorbe. Voir pour la scène
évoquée ici, acte 2, scène 1 :
Que chacun se retire,
&
et
qu'aucun n'entre ici.
Vous, Cinna, demeurez,
&
et
vous, Maxime, aussi.
[Tous se retirent, à la réserve de Cinna
&
et
de Maxime.]
Cet empire absolu sur la terre
&
et
sur l'onde,
Ce pouvoir souverain que j'ai sur tout le monde,
Cette grandeur sans borne
&
et
cet illustre rang,
Qui m'a jadis coûté tant de peine
&
et
de sang,
Enfin tout ce qu'adore en ma haute fortune
D'un courtisan flatteur la présence importune,
N'est que de ces beautés dont l'éclat éblouit,
Et qu'on cesse d'aimer sitôt qu'on en jouit.
où Auguste délibère
avec Cinna
&
et
Maxime, pour savoir s'il abandonnera ou s'il retiendra la souveraine
authorité
autorité
. Quelle en est la principale cause ? L'ignorance où est l'empereur du
complot de ces deux conseillers,
&
et
la connaissance qu'en a le spectateur. On voit avec
une inquiétude mêlée de charmes un prince consulter sur un pouvoir usurpé, ceux qui en
sont les ennemis déclarés ;
&
et
la surprise redouble lorsqu'on les voit se partager sur ce point,
&
et
l'un des deux lui conseiller de s'en dépouiller, tandis que l'autre veut qu'il
le conserve. Le simple récit peut quelquefois produire la même impression. Je n'en veux
d'autre témoin que nos livres saints, dans l'histoire de Joseph. Ce patriarche, dans son
enfance,
avoit
avait
été vendu à des marchands Ismaélites par des frères acharnés à le perdre. Cette
épreuve l'avait conduit au comble des honneurs. Il
étoit
était
devenu le premier ministre d'Egypte,
&
et
pendant un temps de stérilité, sa sage prévoyance fournissait des blés, non
seulement à tout ce vaste empire, mais encore aux états voisins. La disette amène à ses
pieds ces mêmes frères qui autrefois ont voulu le faire périr. Il les reconnaît, sans en
être reconnu lui-même. Quelle situation plus délicate ! Suivra-t-il le désir d'une
vengeance qui
paroît
paraît
aussi juste qu'elle est facile ? C'est ce que le lecteur brûle de savoir,
&
et
ce qu'il n'apprendra que par la suite des événements ;
&
et
ces événements le tiendront encore longtemps (Desit : référence
exacte de l'histoire de Joseph .)
en suspens. Pendant tout ce temps il jouira, d'un côté, de
l'embarras des fils de Jacob, qui ne peuvent rien comprendre à la conduite du premier
ministre ;
&
et
de l'autre, du plaisir de Joseph,
&
et
de ces retours de tendresse qui le mettent souvent en danger de trahir son
secret. Les frères de Joseph sont donc traités d'abord fort durement : on retient
prisonnier l'un d'entr'eux : pour lui rendre la liberté, on exige d'eux qu'ils
amènent leur jeune frère, qu'ils ont laissé auprès de Jacob : mais ils retrouvent
dans leurs sacs l'argent qu'ils
avoient
avaient
apporté pour acheter des blés. L'année suivante ils reviennent, accompagnés de
Benjamin leur jeune frère ; le viceroi les reçoit avec bonté
&
et
les fait manger avec lui. Ces procédés honnêtes sont bientôt suivie d'une
superchérie cruelle. On glisse furtivement dans le sac de Benjamin la coupe de Joseph,
&
et
on les fait tous arrêter au sortir de la ville, comme des voleurs. On les ramène
aux pieds du ministre, qui veut retenir Benjamin prisonnier
&
et
renvoyer les autres. Juda, qui
avoit
avait
répondu de ce jeune frère à son père Jacob, entreprend sa défense avec la plus
grande vivacité. On sent bien que le dénouement approche. Voyons, si vous voulez, comment il est traité par un auteur dont le style
romanesque est indécent dans une histoire sainte, mais chez qui cependant l'on rencontre
souvent des morceaux dignes de la noblesse de son sujet, tels que celui-ci.
Hist. du Peuple de Dieu
Histoire du Peuple de Dieu
,
l.
livre
4.
(Desit: référence exacte .)
L'appel à la note manque dans
le texte original.
Joseph ne refusa pas à son frère de l'écouter. Seigneur, reprit Juda,
dans le premier voyage que nous fîmes en Égypte, vous ordonnâtes à vos serviteurs de se
présenter devant vous. Vous nous demandâtes si notre père vivait encore,
&
et
si nous n'avions point de frère. Incapables de déguisement, nous répondîmes à
Monseigneur que le ciel nous
avoit
avait
conservé notre pere,
&
et
qu'il
étoit
était
d'un âge très avancé. Que nous avions laisse auprès de lui le plus jeune de
nos frères, que le bon vieillard chérit aussi tendrement que s'il
étoit
était
encore un enfant, parce qu'il lui est né dans sa vieillesse,
&
et
que c'est le seul qui lui reste de deux garçons qu'il a eus de celle de ses
épouses qu'il
avoit
avait
le plus aimée. L'aîné des deux, frère utérin de celui-ci, ne vit plus ;
du moins son père le pleure comme mort,
&
et
Benjamin est aujourd'hui toute sa consolation. Vous nous avez témoigné que
vous seriez bien aise de voir cet enfant,
&
et
vous nous avez ordonné de vous l'amener. Nous représentâmes respectueusement
alors à Monseigneur, que notre père ne pourrait se résoudre à se voir éloigné de son
fils,
&
et
que si on l'en séparait, il lui en coûterait la vie. Nous ne savons point quel
attrait
pouvoit
pouvait
avoir pour vous ce jeune inconnu ; mais nous ne pûmes vous faire changer
de résolution. Vous dîtes sévèrement à vos serviteurs, que si nous manquions à conduire
notre jeune frère en Égypte, nous n'eussions jamais la hardiesse de nous présenter
devant vous. Nous partîmes avec ces ordres ;
&
et
étant auprès de notre père, nous lui rendîmes compte de tout ce que
Monseigneur nous
avoit
avait
ordonné. Nous avions prévu combien il nous serait difficile de vous obéir au
sujet de Benjamin. Mais nos provisions étant épuisées, notre père nous dît de retourner
en Égypte, pour en faire de nouvelles. Nous ne pouvons descendre en ce royaume, lui
dîmes-nous, si vous ne nous confiez notre jeune frère pour nous y accompagner. Mais si vous vous faites cette violence, nous sommes prêts de
partir. Autrement qu'irons-nous faire dans ce pays, oû, sans cet enfant, nous n'osons
seulement nous présenter à celui qui y commande. Notre remontrance pénétra notre père de
la plus vive douleur. Il nous répondit, les larmes aux yeux : Vous savez, mes
enfants, que j'avais deux fils d'une épouse qui m'était bien chère. J'eus l'imprudence
d'envoyer l'aîné à la campagne : vous-mêmes me fîtes dire, qu'une bête féroce
l'avait dévoré,
&
et
depuis ce temps en effet, ce cher fils a disparu, sans que j'en aie pu avoir
la moindre nouvelle. Si vous emmenez celui qui me reste,
&
et
qu'il lui arrive quelque accident, suis-je dans un âge à survivre à sa
perte ? Ne voyez-vous pas que j'en mourrai de douleur ? Nous l'avons forcé,
malgré ses inquiétudes, à nous confier Benjamin.
&
et
de quel front pourrais-je, Seigneur, aller me présenter à ce tendre père, sans
lui rendre un fils au retour duquel je sais que sont attachés ses jours ? Il en
mourra, Seigneur, s'il ne le voit pas le premier à la tête de la troupe. Nous aurons à
nous reprocher d'avoir avancé la mort du meilleur de tous
les pères. Moi, votre serviteur, je me suis chargé personnellement de Benjamin :
j'ai répondu en mon nom que je le reconduirais en Chanaan,Le Pays de
Canaan désigne la partie du Proche-Orient située entre la Méditerranée
&
et
le Jourdain. sous peine d'encourir pour toujours l'indignation de mon
père. C'est donc à moi, Seigneur, d'être votre esclave,
&
et
vous me voyez prêt à toutes les rigueurs où vous voudrez me condamner.
Accordez-moi seulement la grâce de Benjamin,
&
et
qu'il retourne avec mes frères. Mais quoique vous ordonniez, si Benjamin
demeure en Égypte, jamais je ne verrai la terre de Chanaan. Je ne puis me résoudre à
retourner auprès de mon père, sans lui rendre son fils ;
&
et
vous-même, Seigneur, me croyez-vous le cœur assez dur, pour pouvoir être le
témoin de son désespoir,
&
et
bientôt après de sa mort ? Joseph n'eût-il eu pour les enfants de Jacob
que des
sentimens
sentiments
d'humanité, il n'eût pu se défendre de ce qu'il y
avoit
avait
de touchant dans un récit si simple
&
et
dans des dispositions si généreuses. Mais Juda, sans le savoir, parlait à un
frère ; il lui racontait ses propres aventures ; il attaquait son cœur par
tous les endroits sensibles ;
&
et
certes il
étoit
était
bien difficile que Joseph pût soutenir plus
longtemps le personnage de juge, avec des hommes qu'il aimait, qu'il savait innocents,
&
et
qu'il connaissait pour ses frères. lui en coûtait trop pour se faire violence.
Juda s'étant prosterné le visage contre terre, en attendant sa réponse, il ordonna à
tous les Égyptiens de se retirer de son appartement
&
et
de le laisser seul avec ces étrangers. Sa première réponse, dès qu'il fut en
liberté, furent des soupirs, des sanglots
&
et
des larmes. Les seules paroles qu'il put dire, en élevant la voix dans sa
langue maternelle, furent ces trois mots : Mes frères, je suis Joseph : est-il
donc vrai que mon père vive encore ? À cette déclaration, les frères de Joseph,
frappés tout-à-la-fois d'un sentiment confus de surprise, de joie, de frayeur,
demeuraient comme des hommes interdits. Ils n'osaient seulement lever les yeux, pour
s'assurer si ce n'était point un phantôme. Durant quelques moments, un silence profond
règna entr'eûx, sans que Joseph, qui
avoit
avait
le cœur serré, pût rien dire de plus, ou que ses frères, tous tremblants,
pussent lui répondre un seul mot.
Assurément, si l'historien nous eût prévenu dès le
commencement de son récit, que Joseph
étoit
était
résolu de se faire
connoître
connaître
à ses
freres
frères
, il nous
auroit
aurait
enlevé une grande partie du plaisir que nous laisse cette incertitude :
d'un autre côté, s'il nous eût laisse ignorer jusqu'à la fin, que le vice-roi d'Égypte
étoit
était
Joseph, la surprise peut-être eût été plus grande ; mais que
seroient
seraient
devenues tant de situations intéressantes que renferme cet événement ? Par
exemple, celle où les
freres
frères
de Joseph maltraités à leur arrivée, se reprochent la cruauté dont ils ont usé à
l'égard d'un
frere
frère
innocent,
&
et
font ces réflexions dans leur langue maternelle, en présence de Joseph, de qui
ils
croyoient
croyaient
n'être pas entendus. Les endroits où Juda, dans son discours, rappelle à son
frere
frère
, sans le
connoître
connaître
, sa propre histoire,
&
et
lui peint la tendresse de son
pere
père
,
feroient
feraient
-ils sur nous la même impression ? Nous y
reconnoîtrions
reconnaîtrions
la voix de l'éloquence,
&
et
non pas le cri de la nature.Cette dernière remarque
s'inscrit dans une méfiance envers la rhétorique caractéristique du XVIIIe siècle ;
voir Michel Delon, « Procès de la rhétorique, triomphe de l'éloquence (1775-1800) »,
1999 (voir bibliographie).
Heureux l'écrivain, répliqua Timagène, à qui l'histoire fournit des faits susceptibles de
pareils
ornemens
ornements
. S'il est adroit, il peut mettre en pratique le précepte que Vida ne donne que
pour la
poësie
poésie
. II expose en beaux vers tout ce que nous venons de dire.Timagène fait référence à Marco Girolamo Vida ou Marcus Hieronymus Vida (1485-1566), un
écrivain
&
et
poète italien de la Renaissance. Le passage cité est tiré de son De arte poetica (Sur l’art de la poésie) de
1527, ouvrage inspiré par Horace. Cet ouvrage fait partie des quatre poétiques traduites
&
et
commentées par l'abbé Batteux, en 1771, dans ses Quatre
Poétiques (voir bibliographie). Le passage cité ici se trouve dans le second livre, pages
78-84. Bérardier ne suit cependant pas la traduction de Batteux. Quoique ce
morceau ne soit pas nouveau pour vous, je crois que vous en entendrez encore la lecture
avec plaisir.Le premier soin (du poète) doit être de tenir longtempts
son lecteur en suspens ; de lui laisser ignorer quelle sera l'issue des
événements ; quel présent sera capable de fléchir la colère de l'implacable Achille
contre Agamemnon,
&
et
de l'engager à reprendre les armes contre Troie : quelle divinité
dégagera le fils de Laërte de l'antre du Cyclope. Le lecteur curieux attend avec
impatience ces ·éclaircissements· : [p.156] dans cet espoir, il parcourt volontiers
le reste de la carrière, quelque pénible qu'elle soit : la fatigue, la douceur d'un
sommeil accablant, les aiguillons de la faim, les ardeurs de la soif, ne peuvent
l'arracher à sa lecture : c'est une occupation agréable, qu'il n'abandonne qu'avec
peine,
&
et
le plus tard qu'il est possible.... Cependant un auteur habile ne nous
laissera pas dans une entière incertitude, jusqu'à la conclusion de tout l'ouvrage.
Plusieurs répandent dans leur récit certains indices éloignés qui se montrent sous un
jour équivoque, quelques faibles rayons de lumière échappés à travers ces ténèbres
épaisses, laissent [p.157] entrevoir les objets. Ainsi Énée apprend de la bouche de son
pere
&
et
de plusieurs oracles sa destinée future, les guerres sanglantes que lui
prépare le Latium,
&
et
l'obstacle que Troie renaissente rencontrera dans un nouvel Achille. Au milieu
de ces funestes prédictions, on rassure le héros, on lui fait concevoir les espérances
les plus flatteuses, on lui promet un sort plus heureux, on lui montre l'orage enfin
terminé par un calme profond. Le fils d'Anchise reconnut lui-même la vérité de ces
promesses, lorsqu'après son débarquement, il commença la guerre en attaquant les paysans
attroupés,
&
et
que la victoire qu'il remporta sur les Latins,
&
et
la mort du premier ennemi qui s'était offert à ses coups, furent pour lui le
présage des combats
&
et
des succès futurs. Patrocle [p.158] en mourant, annonça de même à son
vainqueur la triste destinée que lui réservait le bras d'un ennemi plus redoutable. Mais
l'aveugle fils de Priam n'ajouta aucune foi à cet oracle.
&
et
toi, malheureux Turnus, ne pouvais-tu pas prévoir ton triste sort longtemps
avant le moment fatal, lorsqu'un oiseau sinistre, voltigeant sans cesse autour de ton
bouclier
&
et
devant tes yeux, porta le trouble dans ton âme,
&
et
t'annonça un avenir affreux ? L'instant approche, où tu racheterais à
grand prix la vie de Pallas, où tu maudiras cent fois cet éclatant baudrier, dont tu te
fais un trophée,
&
et
où tu payeras bien cher ta funeste victoire. C'est une adresse utile de donner
au lecteur ces connaissances anticipées, bien qu'elles soient [p.159] confuses
&
et
enveloppées d'un nuage épais. Il en est de lui, comme d'un voyageur qui pointe
ses pas vers une ville éloignée. Lorsqu'il apperçoit dans le lointain sur le haut d'une
colline le sommet des édifices, qu'il ne distingue encore qu'à demi, il s'avance d'un
air plus content,
&
et
continue sa route avec plus de tranquillité, que quand il marche dans une
vallée obscure
&
et
profonde, qui ne lui découvre rien du terme de son voyage.
Poët. lib. 2
Poetica, liber II
.
Marcus Hieronymus Vida, Poetica (1527), dans : Les Quatre Poëtiques, 1771
(voir bibliographie), pages 78-84.
Bérardier ne suit cependant pas ici la traduction de Batteux.
Primus at ille labor, versu tenuisse legentem
Suspensum, incertumque diu, qui denique rerum
Eventus maneant, quo tandem durus Achilles
Munere placatus régi, rursum induat arma
In Teucros, cujusve dei Laërtius heros
Auxilio, Polypheme, tuis évadât ab antris,
Lectores cupidi expectant, durantque volentes,
Nec perferre negant superest quodcunque laborum,
Inde licet fessos somnus gravis avocet artus,
Aut epulis placanda fames, Cererisque libido.
Hoc studium, hanc operam sero dimittimus ægri.
. . . . . .
Haud tamen omnino incertum metam ufque sub ipsam
Exactorum operum lectorem in nube relinquunt.
Sed rerum eventus nonnulli sæpe canendo
Indiciis porro ostendunt in luce maligna,
Subiustrique aliquid dant cernere noctis in umbra.
Hinc pater Æneam, multique instantia vates
Fata docent, Latio bella, horrida bella manere, (Desit : vérifier latin.
-- Signaler "Aiguillon" comme modification? .)
Atque alium partum Trojanis rebus Achillem.
Spem tamen incendunt animo, firmantque labantem,
Spondentes meliora
&
et
res in fine quietas.
Ipse quoque agnovit per se, cum in limine belli
Navibus egressus turmas invasit agrestes,
Atque (omen pugnæ) prostravit morte Latinos,
Occiso, ante alios, qui sese objecerat hoste.
Fata Menætiades etiam prædixerat olim
Victori moriens majori instare sub hoste,
Quamvis haud fuerit res credita : tu quoque, Turne,
Prævidisse tuos poteras, heu perdite, casus
Longe ante exitium, cum crebro obscœna volucris,
Per clypeum, perque ora volans stridentibus alis,
Omnem turbavit mentem, admonuitque futuri.
Hinc tibi tempus erit, magno cum optaveris emptum
Intactum Pallanta,
&
et
cum spolia aurea balthei
Oderis, atque tibi haud stabit victoria parvo.
Nam juvat hæc ipsos inter præscisse legentes,
Quamvis fint
&
et
adhuc confusa
&
et
nubila porro.
Haud aliter longinqua petit qui forte viator
Mœnia, si positas altis in collibus arces,
Nunc etiam dubias, oculis videt, incipio ultro
Lætio ire viam, placidumque urgere laborem,
Quam cum nusquam ullæ cernantur, quas adit, arces,
Obscurum sed iter tendit convalibus imis.
En vérité, poursuivit Euphorbe, je suis ravi que vous ayez quelque amitié pour le
poëte
poète
de Crémone. Ce bon prélat se
délassoit
délassait
des fonctions du
ministere
ministère
avec la muse de Virgile, dont il
étoit
était
presque compatriote. Il me
paroît
paraît
, qu'à son exemple, ses vers vous ont servi à égayer
les travaux de Bellone. Mais je m'
apperçois
aperçois
que le jour s'avance. Vous vous proposiez, je crois, d'aller surprendre quelque
lapin. Il est temps d'exécuter votre projet ;
&
et
je compte que vous ne reviendrez pas les mains
vuides
vides
.
Si je reviens les mains
vuides
vides
, repartit Timagène, j'aurai du moins la tête bien garnie.